Du marketing en politique
Apparu en France en 1965 avec la candidature de Jean Lecanuet, surnommé le « Kennedy français », le marketing politique s’est imposé en quelques décennies comme un outil incontournable au service d’une stratégie de conquête électorale.
La campagne pour l’élection présidentielle 2017 en cours en donne une illustration criante, tant Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont usé du marketing politique. Le premier tour a en effet vu triompher les deux candidats qui ont su imposer une nouvelle marque politique : respectivement « En Marche ! » et « Marine ». Dans le même temps, les deux candidats des partis de gouvernement, sélectionnés dans le cadre d’un processus électoral « normal », les primaires, ont été éliminés.
Emmanuel Macron a créé le mouvement « En Marche ! » ex-nihilo, en avril 2016, en se fondant sur la conviction qu’une large partie de la population ne se retrouvait plus dans le clivage gauche-droite qui a dominé et déterminé l’histoire de la République depuis 1965. Il a bâti son mouvement en capitalisant sur deux piliers : d’une part, une démarche militante originale, s’appuyant sur des nouveaux venus en politique et des initiatives novatrices, comme « le questionnaire aux Français » porté par ses jeunes « marcheurs », d’autre part, son image de candidat nouveau, jeune, enthousiaste et dynamique, porteur d’une nouvelle manière de faire de la politique, sans pour autant négliger le poids des réseaux sociaux ni l’apport de la presse people, à travers la mise en scène de son couple. Quelle que soit l’issue de l’élection, Emmanuel Macron aura accompli une performance sans précédent : inconnu du grand public il y a deux ans, il parvient, en dehors des partis de gouvernement, au second tour d’une élection présidentielle. De Jean-Jacques Servan-Schreiber à Charles Millon en passant par Michel Jobert, tous ceux qui s’étaient lancés avant lui dans une démarche de ce type avaient échoué.
La stratégie de Marine Le Pen est plus ancienne et son résultat est le fruit de plus de dix ans d’efforts, marqués par une progression régulière dans toutes les élections depuis 2008. Force est de constater qu’elle est largement parvenue à dédiaboliser le Front National, parti historique d’extrême droite. Le peu de réactions suscitées par sa qualification au second tour suffit à le démontrer : elle a largement su faire oublier l’encombrante figure paternelle du fondateur du parti. En 2002, la deuxième place de Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle avait créé un choc et suscité l’émergence d’un « front républicain ». Près d’un million de personnes avaient manifesté pour faire barrage au FN le 1er mai. 80 % des votants du second tour s’étaient ralliés à Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen avait gagné moins de 4 points entre les 2 tours. Il est certain qu’il n’en sera pas de même le 7 mai ! Dans l’intervalle, le FN a progressivement disparu au profit de la marque « Marine » qui se veut moins clivante et plus attractive.
Sur son affiche de campagne, plus aucune référence au FN, plus de drapeau français, ni de mention de son nom de famille. Il n’y a plus que « Marine », et la marque se décline d’ailleurs dans la couleur de sa tenue. Une présence très active sur les réseaux sociaux et, depuis lundi dernier dans le cadre de la campagne de deuxième tour, une stratégie d’omni-présence médiatique fondée sur des « coups » complètent cette stratégie.
Pour les deux candidats, ce qui est mis en avant, ce sont bien deux personnalités – en marketing commercial on dirait des « égéries de leur marque » –, davantage que des représentants d’un parti ou a fortiori un programme ou une ambition pour le pays.
Mais ce marketing politique risque de trouver ses limites si les deux candidats n’arrivent pas dans les derniers jours de la campagne à convaincre les citoyens que leur marque respective sert un programme articulé et cohérent. Et offre une vraie perspective de redressement à la France. Et comme en témoigne le sondage publié dimanche 30 avril par le Journal du Dimanche, c’est loin d’être gagné. Sauf à redresser rapidement la barre, après la participation décevante enregistrée au premier tour (77,77%) et au terme d’une campagne à nulle autre pareille, c’est l’abstention qui risque d’être élue « phénomène (produit) politique » de l’année 2017.
Elisabeth Coutureau,
co-présidente du cabinet CLAI