
Air France : retour sur un crash social
Le référendum est une arme démocratique à utiliser avec parcimonie et à bon escient, dans les relations sociales autant qu’en politique.
Jean-Marc Janaillac, le PDG d’Air France-KLM, vient d’en faire l’amère expérience, comme l’avait fait avant lui Jacques Chirac, il y a 13 ans, à propos du traité constitutionnel européen.
A la surprise générale, puisque le Gouvernement et la quasi-totalité des observateurs tenaient pour acquis le succès du oui en faveur de l’accord salarial laborieusement négocié, entre deux mouvements de grève, depuis plusieurs mois par la direction et les dix organisations syndicales de l’entreprise regroupées en intersyndicale. Si les syndicats demandaient à l’origine une augmentation générale de la grille salariale de 6 % en 2018, la direction s’était rapprochée de cette revendication en proposant 7% étalés sur 3 ans quand les partenaires sociaux ne demandaient « plus que » 5,1% la première année. L’intersyndicale ayant rejeté son ultime proposition, le PDG annonçait le 16 avril, à la surprise générale, l’organisation d’une consultation de l’ensemble des salariés sur le projet d’accord. Bien plus, il liait son maintien à la tête du Groupe à une réponse positive.
Le vendredi 4 mai, 55,44% des 46771 salariés de la compagnie ont répondu non à la question qui leur était posée. Un score sans appel porté par une forte participation de 80,33%. L’échec de la Direction est patent et Jean-Marc Janaillac en a tiré la conséquence, en annonçant, comme il s’y était engagé, son départ, dès les résultats connus.
Trois facteurs principaux nous paraissent expliquer ce « crash social ».
Tous les observateurs avaient à l’esprit le précédent de 1994. Christian Blanc, nommé Président quelques mois plus tôt, avait soumis avec succès son plan de redressement et de relance d’Air France à l’approbation des salariés. Le contexte était tout à fait différent cependant : la compagnie sortait d’un conflit très dur qui avait entraîné le départ de son précédent Président et sa pérennité paraissait menacée après une difficile double fusion avec UTA puis Air Inter. Jean-Marc Janaillac et ses collaborateurs n’ont pas pu ou su convaincre le corps social qu’en 2018 l’enjeu était de même ordre. Le conflit est resté celui d’un débat sur la répartition des résultats du groupe, redevenus positifs en 2017 après dix ans de pertes continues. Bien plus, les concessions successives de la direction, au fil des réunions, ont pu atténuer la conscience des risques pour la compétitivité commerciale et la santé financière de l’entreprise. Loin d’avoir le sentiment de jouer la survie de leur entreprise, les salariés, toutes catégories confondues, ont tenu à réaffirmer leur volonté d’être associés au redressement de l’entreprise et à ce titre de voir leur rémunération revalorisée de manière uniforme pour « compenser la hausse des prix depuis 2011 ».
La direction a été d’autant moins crédible dans son effort pour « dramatiser » l’enjeu de la consultation qu’elle avait elle-même bénéficié de mesures salariales significatives début 2018. C’est l’annonce de celles-ci qui avait déclenché la contestation sociale et permis le lancement du mouvement de grève. C’est à l’évidence un facteur essentiel dans l’échec de la consultation, la direction de l’entreprise n’étant pas de ce fait « en situation » de convaincre le personnel des risques encourus par celle-ci.
Le dernier facteur à relever touche à la stratégie de communication, tant en interne que vis à vis de l’opinion publique, de la direction et des pouvoirs publics. Les deux ont dénoncé sans relâche, y compris après l’échec du référendum, « l’égoïsme » des pilotes, considéré comme le principal facteur de blocage des négociations. Une double erreur.
D’une part, parce que l’expérience montre que la stigmatisation d’une catégorie sociale n’est jamais un argument très efficace en France. Le Président Macron l’a reconnu, à propos du statut des cheminots lors de son récent entretien avec JJ Bourdin et E Plenel, et a même « confessé », on ne l’a pas assez relevé, que le Gouvernement avait commis une erreur sur ce point. Vouloir mobiliser le corps social contre les privilèges d’un groupe particulier, quel qu’il soit, ne fonctionne pas dans notre pays. C’est une constante de notre vie sociale. On l’a vu par exemple dans les années 70-80 à propos des ouvriers du livre et dans les années 90-2000 pour les dockers puis pour les salariés de la SNCM. Sans revenir sur le cas de cheminots pourtant mis en cause à intervalle régulier depuis la grande grève de 1953.
D’autre part, parce qu’en l’occurrence, cette explication ne paraît pas correspondre à la réalité du conflit. Les 4000 pilotes représentent 8,5% des 46771 salariés d’Air France. 44,53 % de ceux-ci ont voté non. 20% ont choisi de ne pas s’exprimer. Quelle que soit l’attitude des représentants des pilotes, leur imputer la responsabilité du conflit et de l’absence de règlement semble méconnaître les attentes et aspirations des autres catégories, dont témoigne la solidité de l’intersyndicale qui est à ce jour restée unie. On peut se demander en revanche si les responsables d’Air France ne se sont pas pris à leur propre communication sur ce point et n’ont pas pour cette raison sous-estimé la réalité du mécontentement social.
Le recours au référendum est toujours aléatoire. Pour être couronné de succès, il suppose que le contexte permette de faire émerger un enjeu fondamental et de convaincre le corps électoral de l’absence de « plan B ». L’enjeu pour les salariés d’Air France d’un rejet du plan : dans l’immédiat, une démission du Président et, à terme, une nouvelle négociation pour sortir de la crise … avec vraisemblablement une amélioration du projet d’accord.