
Air France, une simple maladresse de communication ou le symbole d’un dysfonctionnement plus profond ?
Le 5 octobre dernier, les séquences qui ont suivi l’agression du directeur des ressources humaines et du directeur des opérations long-courriers d’Air France lors d’une réunion du comité central d’entreprise révèlent – une fois de plus – un manque de constance et de cohérence dans la communication gouvernementale. Elle met surtout en évidence la difficulté pour l’Etat de concilier différents rôles : responsable de l’image du pays, de la sécurité publique, garant du climat social et actionnaire de grandes entreprises, le tout en préservant ses intérêts politiques.
Retour sur cette autre « bavure » particulièrement révélatrice
Le 5 octobre, la réunion du Comité Central d’Entreprise est interrompue par un grand nombre de manifestants. La Direction d’Air France s’apprête à présenter une seconde proposition de plan de redressement, se traduisant par une réduction des effectifs (2900 emplois) et des liaisons aériennes (10%). Les images de l’exfiltration des deux cadres, sans chemise et escaladant les grilles du siège de l’entreprise sous la protection d’agents de sécurité dépassés par les circonstances, furent marquantes. Elles ont immédiatement envahi les réseaux sociaux et ont fait la une des journaux télévisés et des journaux français, puis étrangers. Une dépêche AFP relate les propos de la presse anglo-saxonne dénonçant le « syndicalisme et la réticence à réformer le pays propre à la France ».
Le lendemain, le Premier ministre Manuel Valls se rend sur place avec Alexandre de Juniac, PDG d’Air France KLM, et condamne des violences que « rien ne peut justifier » et ajoute qu’« Air France doit faire face à des défis immenses (…) mais la solution doit d’abord venir de l’entreprise elle-même ». Il en appelle à la « responsabilité des pilotes d’avion et du SNPL », leur syndicat.
Nous comprenons que l’État condamne la violence et soutient le plan d’entreprise, mais qu’il ne s’impliquera pas directement.
Dans les heures et les jours qui suivent, l’ensemble de la classe politique et des syndicats réagissent aux incidents survenus à Roissy et commentent le plan de redressement d’Air France. Par la déclaration de son chef de file, Jean-Luc Mélenchon, le « Parti de gauche » condamne « une violence que l’on ne voit pas ». M. Martinez, secrétaire général de la CGT ajoute qu’il aurait « préféré » que Manuel Valls « apporte son soutien aux 3000 salariés menacés de licenciement » et que « l’État fasse face à ses propres responsabilités ».
Progressivement, la polémique ne cesse de croître sur le rôle de l’Etat vis-à-vis d’une entreprise dont il est le principal actionnaire (détient 17% du capital). Le 9 octobre, trois syndicats interprofessionnels d’Air France (FO, Unsa et CGT) demandent au gouvernement de nommer « un représentant de l’État » afin de « trouver des solutions et de surmonter le blocage social ».
Les cinq personnes soupçonnées de violences envers la direction d’Air France sont arrêtées à leur domicile le 12 octobre. Cette arrestation relance la polémique et contribue à radicaliser les positions.
Le même jour, le Premier ministre est interviewé sur ce sujet lors de sa visite à Ryad en Arabie Saoudite. Il entretient la polémique en répondant que « il n’y a pas d’excuses à la violence et on ne peut pas y opposer la violence sociale liée à la situation d’Air France. Air France doit être restructurée ». Pourtant, le Président est à Saint-Nazaire le même jour et nuance la position gouvernementale en déplorant la « brutalité d’un certain nombre de décisions qui pourraient être celles de chefs d’entreprise ». Il appelle à « un accord qui préserve l’emploi et assure la compétitivité de cette grande entreprise ». Mais il se heurte au refus des représentants de la CGT de le saluer. Cette position est confirmée le lendemain par Manuel Valls au Parlement lors de la séance de Questions au Gouvernement. Il déclare que « le plan peut être évité si le dialogue social se poursuit ». Simultanément, Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie et des Transports, demande à la direction d’Air France de « suspendre son plan » sur le plateau de BFM TV. Une position partagée par Myriam El Khomri, ministre du Travail, qui va plus loin en appelant Air France à « mettre plusieurs propositions sur la table ». Mais le 14 octobre, Manuel Valls fait un pas en arrière en précisant que « le plan n’est pas suspendu ».
Comment analyser les évolutions de la position gouvernementale sur la question du plan de redressement d’Air France ?
Faut-il y voir une tentative de réconciliation du gouvernement avec une partie de l’électorat de gauche, choquée par les mesures envisagées ou par l’arrestation de manifestants présumés violents ? Gardons à l’esprit que les élections régionales françaises approchent et que le Parti socialiste (PS) risque d’être battu dans la plupart des régions. Ou bien, était-ce une réponse à la menace de la CGT de ne pas participer à la conférence sociale organisée le 19 octobre. Mais il s’agit plutôt d’une prise de conscience (trop) tardive des responsabilités de l’Etat dans la gestion des entreprises dans lesquelles il détient des actions.
Néanmoins, l’impression donnée est avant tout malencontreuse. L’exemple d’Air France est significatif ; la communication gouvernementale souffre de profonds maux : absence de ligne politique claire, cohérente et constante, réponse à toutes les sollicitations médiatiques sans stratégie définie, multiplication des porte-parole- le président, le Premier ministre et trois ministres ont exprimé leur point de vue sur le sujet – et, surtout, évolution des positions en fonction des émotions de l’opinion publique…
En 2013, lors d’un conseil des ministres houleux, François Hollande avait attiré l’attention sur des règles strictes en matière de communication : « arrêter de communiquer dans tous les sens », « faire preuve de solidarité », « demander l’autorisation à Matignon avant toute interview ». Au vu de la gestion du dossier Air France, un rappel pourrait s’imposer.