
Catastrophes aériennes et communication officielle : trouver le bon équilibre entre compassion et sur-réaction.
Comment communiquer après un crash aérien ? Aussitôt le drame connu, on attend des responsables politiques qu’ils s’expriment sans attendre, faute de quoi ils seront accusés d’être aux abonnés absents. Se montrer à l’unisson de l’émotion ambiante, donner des explications à l’opinion publique sur les causes de l’accident et indiquer les mesures que va prendre le gouvernement sont autant de pré-requis pour donner l’image d’un Etat mobilisé, sur le pont, qui a pleinement pris la mesure de la situation.
Tout l’inverse de la communication officielle autour du MH370 de Malaysia Airlines, qui a mystérieusement disparu le 8 mars dernier après avoir décollé de Kuala Lumpur et qui reste activement recherché. Dans un communiqué, les familles ont évoqué « l’impardonnable culpabilité » de la compagnie, du gouvernement et des militaires malaisiens – des responsables qui n’ont pas l’habitude de communiquer avec la presse -, gérant la communication dans la confusion, donnant libre cours aux plus folles hypothèses (détournement de l’avion, sabotage, suicide du pilote, etc.) et les laissant seules face au drame.
Communiquer vite donc, occuper l’espace médiatique, mais pour dire quoi ? Dans le cas d’un avion, il peut s’écouler beaucoup de temps avant que l’on ne connaisse les causes de l’accident. La recherche des boîtes noires peut prendre plusieurs jours, leur exploitation plusieurs années, délai qui n’est plus acceptable pour les médias comme pour le grand public. A l’ère de l’information en continu et des réseaux sociaux, chacun, qu’il soit journaliste, expert ou simple citoyen, peut se lancer dans les plus folles spéculations et les diffuser massivement. Face à ces multiples sources d’informations, la communication officielle doit être d’autant plus prudente, cohérente et étayée que la moindre erreur d’information peut la discréditer immédiatement.
On a pu mesurer toute la difficulté de l’exercice au lendemain du crash du vol AH5017 d’Air Algérie au nord Mali. La comparaison des interviews du porte-parole du Gouvernement et du ministre de l’Intérieur est à cet égard édifiante.
Invité de l’édition spéciale d’Europe 1, le porte-parole du Gouvernement, Stéphane Le Foll, avait visiblement choisi d’adopter une stratégie de prudence, quitte à répéter qu’il ne pouvait donner de réponse à ce stade. En face, le journaliste cherchait bien sûr à obtenir le plus d’informations possibles afin de nourrir son sujet et pourquoi pas, de faire le buzz.
Question du journaliste: y a-t-il des survivants ? Réponse du ministre: « Vous me posez une question à laquelle je ne répondrai pas parce que je n’ai pas d’informations.»
Question : a-t-on retrouvé les boîtes noires ? Réponse : « Je n’ai pas d’informations sur le sujet.»
Question : que veut dire « état désintégré » de l’avion ? Le porte-parole refuse de se complaire dans des détails potentiellement sordides : « On ne va pas commencer de manière exhaustive à faire de commentaire sur le mot…. Il y a une enquête qui est en cours, donc il faut qu’on se donne un tout petit peu de temps et qu’on arrête d’accélérer les réponses, voilà.»
L’intervieweur tente alors un autre angle d’attaque : l’entrée en scène de l’expert, source d’information qui vient concurrencer la parole officielle : « L’expert dit que l’explication météo est insuffisante… » Le porte-parole du Gouvernement reste sur son champ de compétence : « Je ne suis pas un expert donc je ne suis pas là pour faire des commentaires.»
A l’inverse, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, choisit de donner du grain à moudre aux médias dans son interview sur RTL le même jour. S’appuyant sur les informations officielles, le communiqué de presse de l’Elysée, il rappelle que la priorité était de retrouver l’épave, que les moyens ont été mobilisés par l’armée française et au sujet de l’avion « désintégré », répond : « Nous pensons que cet avion s’est abîmé pour des raisons qui tenaient aux conditions météorologiques, mais aucune hypothèse ne peut être écartée aussi longtemps que l’enquête n’a pas donné tous ses résultats.»
S’il avance une hypothèse en particulier, qui constitue une information pour les médias (la météo), il la ravale immédiatement après au rang d’hypothèse parmi d’autres : il donne ainsi l’amorce d’une explication tout en évitant l’effet d’annonce intempestif. La situation est sous contrôle, tel est le message en filigrane.
En attendant de pouvoir faire toute la lumière sur le drame, la communication officielle doit occuper le terrain, par le verbe comme par l’image. C’est la stratégie choisie par l’Elysée : le président de la République a annulé son déplacement à la Réunion, pris la parole sur le perron de l’Elysée sur le ton de la gravité et de l’émotion, rencontré les familles des victimes françaises et piloté plusieurs réunions de crise dont les images ont été postées sur le compte twitter de l’Elysée. Réactivité, solennité et sobriété, le style de sa communication renvoie l’image d’un chef d’Etat en première ligne dans la gestion de la crise, quelles que soient les incertitudes qui persistent sur le drame.
En allant jusqu’à décréter trois jours d’hommage général et de drapeaux en berne, l’Elysée a suscité un début de polémiques : les accusations de récupération politique et les comparaisons avec d’autres drames comme l’accident du Rio-Paris ou les accidents ferroviaires n’ayant pas tardé à se répandre sur twitter. Le chef de l’Etat devra-t-il désormais faire preuve du même activisme pour tous les drames qui endeuillent la nation ? La question, en tout cas, ne manquera pas de se poser lors de la prochaine catastrophe.