
Comment Nutella a fait plier Ségolène Royal, ou quand la « corporate advocacy » vient au secours d’une marque iconique….
Le plaidoyer de Ségolène Royal sur le plateau du Petit journal le 15 juin 2015, demandant aux consommateurs d’arrêter d’acheter du Nutella, a relancé le débat sur ce produit. Le nouveau cheval de bataille de la ministre s’est cependant cabré et l’a envoyée directement dans le fossé de la contrition ministérielle.
Cet épisode était prévisible, car Nutella n’est pas une marque comme les autres, elle sait entretenir sa réputation et défendre son image.
Derrière la légende, une vraie stratégie de communication…
Lors de son introduction sur le marché français en 1964, Nutella n’avait rien du géant d’aujourd’hui. En seulement vingt ans, quatre marques s’étaient succédé (Giandujot, Supercrema, la Tartinoise, et enfin Nutella) et deux changements importants de recette étaient intervenus, entre Giandujot et Supercrema puis entre la Tartinoise et Nutella. Le produit a ensuite cherché à s’imposer sur le marché du petit-déjeuner, un segment très difficile à changer, un vrai défi dont il faut mesurer l’ampleur.
En un temps record, la nouveauté est devenue tradition. Pour être un géant du petit-déjeuner, il fallait gagner une nouvelle légitimité, des moyens d’apparaître comme un produit traditionnel français. C’est précisément le positionnement de la marque depuis cinquante ans. Passées les années 70 et sa première notoriété, les publicités de Nutella évoquent l’expertise et l’expérience du produit, comme l’illustre la signature « 20 ans d’expérience font toujours la différence » au début des années 80. La dimension authentique qui semble être l’attribut naturel de la marque Nutella est en fait un discours construit dès le départ avec un seul objectif commercial : donner au produit tous les attributs d’un produit authentique et traditionnel.
Cependant, la situation a changé et Nutella subit des critiques de plus en plus importantes. De l’accusation d’utiliser de l’huile de palme et du phtalate en passant par une “class action” en Californie, les critiques se sont multipliées. La dernière en date, celle de Ségolène Royal, visait à le hisser au rang des produits les plus critiqués avec Monsanto… Mais la ministre a dû se rendre compte rapidement que le Nutella n’est pas le Roundup et qu’on ne s’attaque pas en toute impunité à une marque aussi emblématique.
…S’appuyant efficacement sur de la corporate advocacy
Toutes ces critiques sont en effet balayées par les aficionados du Nutella, réunis autour du slogan « ne touche pas à mon pot ». En 2010, Bruxelles avait déjà échoué dans sa tentative de contraindre Ferrero à marquer son produit d’une étiquette indiquant « Produit dangereux, favorisant l’obésité ». Mais en 2015, ce n’est pas seulement cette communauté de fans, nostalgiques des petits déjeuners de l’enfance ou des goûters de l’adolescence, qui a conduit la ministre de l’Écologie à la contrition. Selon elle, ce sont les salariés de l’entreprise qui ont vivement protesté. Mais surtout net plus efficacement le gouvernement italien au plus haut niveau, puisque l’épouse du président du Conseil, Mme Renzi, a été filmée en train de manger une crêpe au Nutella. De l’autre côté des Alpes, le Nutella n’est pas seulement une marque emblématique, mais aussi un champion national et un géant économique, comme l’ont souligné les médias italiens, immédiatement mobilisés. Il ne s’agit là que d’une réaction très classique. Souvenons-nous de Jacques Chirac, Premier ministre de l’époque, mangeant du Vacherin devant les caméras lors de la crise de la listeria en 1987. La plus grande surprise vient aujourd’hui de Greenpeace qui prend la défense de la multinationale agroalimentaire Ferrero et souligne ses progrès pour limiter son empreinte environnementale dans le cadre d’un partenariat avec elle.
Salariés, Pouvoirs publics, ONG : mobiliser ses principales parties prenantes est un atout essentiel en cas de crise. Mais, pour pouvoir le faire, il est nécessaire d’avoir préalablement développé un dialogue constructif avec elles. C’est l’enjeu de la « corporate advocacy », qui, intelligemment déployé, devient un pare-feu efficace pour la réputation des entreprises.