
Comment la communication peut-elle sortir des impasses de la post-vérité ?

Dans notre précédent NRS, nous avons montré comment le fact-checking est apparu en réaction à la multiplication des « intox », ces informations fausses qui circulent de manière virale, en particulier sur les réseaux sociaux. De ce phénomène est aussi né le concept de « post-vérité », mot de l’année pour le dictionnaire Oxford, faisant référence « à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles ».
Bref, une négation de la vérité des faits au profit d’un relativisme porté par « la force d’énonciation de celui qui parle ». Dans un monde de post-vérité, le journaliste pourrait donc disparaître et être remplacé par tout à chacun exprimant des opinions affranchies de la réalité. Dans l’ère de la post-vérité, l’entêtement dans des convictions reposant sur des faits erronés n’est plus une marque de bêtise mais de force.
Comment la communication d’entreprise peut-elle faire face à un tel phénomène ? En intégrant deux nouvelles contraintes qui vont la conduire à évoluer.
Premièrement, la simplification du monde post-vérité rend plus difficilement audible la communication de pédagogie reposant sur la vulgarisation d’argumentations techniques. Dans un contexte de « guerre asymétrique » de l’information : un seul tweet d’une personnalité médiatique peut réduire à néant des mois de communication reposant sur une argumentation rationnelle et des faits vérifiés. Fortement relayé, ce tweet déclenchera une avalanche de commentaires et suscitera des reprises caricaturales.
Deuxièmement, la guerre des opinions « post-vérité » tend à remplacer la transparence factuelle par une transparence émotionnelle. Dans toutes les écoles de communication, on enseignait depuis trente ans que mentir était une erreur grave, moralement bien sûr, mais aussi parce que cela se révélait largement contre-productif. Les informations circulant toujours, une entreprise prise en flagrant délit de mensonge par les médias subissait un effet boomerang dévastateur qu’il convenait à tout prix d’éviter. Ne jamais se mettre en situation d’avoir à se démentir était la règle d’or . C’était l’ère de la transparence. Dans l’ère de la post-vérité, les faits ne sont plus la valeur étalon, seule compte la force émotionnelle. Communiquer ne consiste plus à « rétablir la vérité des faits » mais à montrer la sincérité des dirigeants. Le contrôle de la communication ne repose donc plus sur la cohérence des contenus, mais sur la sincérité mise en scène.
Pour autant accepter une telle régression de la communication n’est pas possible. La post-vérité est un mode de communication largement utilisé par les mouvements populistes, incompatible avec l’ADN des entreprises.
L’une des facettes idéologiques communes à tous les populismes repose en effet dans la croyance en un complot ourdi par les élites au travers des médias qu’ils contrôleraient. S’opposer à la « pensée dominante » et aux « représentants du système » aboutit au refus des intermédiaires institutionnels légitimes – les grands médias, les élus, les experts des institutions en place, etc. Trump n’a plus besoin de communiquer via une interview accordée à un grand média qui vérifiera et discutera chaque affirmation ou proposition : il tweete directement son fait « alternatif ».
Mais il serait à notre sens tout à fait contre-productif pour une entreprise d’adopter une telle pratique.
Communiquer à la manière de Trump en s’affranchissant de tout principe de réalité conduirait nécessairement l’entreprise à une impasse car elle vit dans le monde du réel et car, en économie au moins, « les faits sont têtus ». Loin de toute tentation de jouer sur la post-vérité, l’entreprise doit s’inspirer des méthodes du data-journalisme et les appliquer à sa communication, pour continuer à communiquer avec sérénité et pédagogie.
Après le data-journalisme, la data-communication paraît la seule manière de sortir des impasses de la post-vérité.
Eric Giuily et Teoman Bakoglu