
Communication sur la réforme des retraites : un demi-succès, donc un demi-échec
Selon un sondage Opinion Way, 2/3 des Français jugent la réforme des retraites nécessaire, tandis qu’ils sont aussi nombreux à la considérer injuste… Même si le paradoxe est plus apparent que réel, ces chiffres conduisent à s’interroger sur l’efficacité de la communication gouvernementale autour de ce dossier. Ils montrent clairement que si l’exécutif a réussi à convaincre du caractère inéluctable de la réforme, il a échoué à emporter l’adhésion sur les mesures proposées.
Dans la première phase de la réforme, qui correspond à la période de préparation et de présentation du texte, soit jusqu’en juin 2010, le Gouvernement a réussi à en montrer et à en faire admettre le caractère inévitable. Certes, 20 ans de débats publics sur le sujet, du Livre blanc de Michel Rocard à la loi Fillon de 2003, en passant par la loi Balladur de 1993 ou le plan Juppé de 1995 et la création du Conseil d’orientation des retraites (COR) par Lionel Jospin, avaient permis à l’opinion publique de prendre conscience du problème. De plus, alors que la Grèce exposait au monde les limites des déficits publics , et que la France multipliait les annonces sur l’impérieuse nécessité de réduire ses dépenses, la menace d’une baisse des pensions à un horizon pas si lointain gagnait en crédibilité. Dans ce contexte favorable mais délicat, la communication du Gouvernement a été bien menée. Dès septembre 2009, la réforme est annoncée par Nicolas Sarkozy, avec la volonté de lancer le débat au plus vite. Les médias commencent dès lors à multiplier les articles sur le sujet. Après une pause liée aux élections régionales, le débat reprend en avril 2010, avec la publication des prévisions du Conseil d’orientation des retraites, qui présente un scénario particulièrement alarmiste. Pendant toute cette période, le Gouvernement a su faire preuve de pédagogie tout en crédibilisant sa détermination. Et l’opinion publique a suivi sans remettre en question le postulat de base : le système devait être corrigé de manière urgente puisqu’en cinquante ans, le rapport retraités/actifs a été divisé par deux, alors que le temps effectif passé en retraite était multiplié par deux. Preuve s’il en faut : ni les syndicats, ni l’opposition ne demandent vraiment le retrait de la réforme. En tant que telle, la nécessité d’une réforme est finalement admise par tous.
Cependant, à partir de la période estivale, c’est à dire au moment où le Parlement a engagé l’examen du projet de loi, la tendance a progressivement évolué, le pouvoir de conviction changeant de camp. Malgré diverses concessions gouvernementales, les syndicats et l’opposition ont réussi à faire admettre à l’opinion publique que les modalités de la réforme proposée étaient injustes. Différentes « affaires » et l’annonce précoce d’un remaniement à venir ont contribué à affaiblir la parole gouvernementale. Néanmoins, si le contenu de la réforme a été mal accueilli et au final jugé injuste, c’est avant tout en raison de deux choix tactiques qui se sont révélés négatifs sur le plan de la communication.
- Le premier a été de présenter d’emblée des propositions sur les 2 points centraux quant à leurs conséquences financières et leur portée symbolique – la modification de l’âge minimal de départ à la retraite et de celui de la pension maximale sans pénalisation – à des niveaux « planchers », au minimum de ce qui pouvait être fait pour que l’on puisse dire qu’il y avait véritablement réforme du système. Ils n’étaient dès lors pas négociables et aucune concession ne pouvait être envisagée ni dans le cadre de la concertation syndicale ni lors du débat parlementaire. Cela a offert un sujet d’opposition fédérateur aux syndicats qui ont eu beau jeu de dénoncer l’absence de vraie négociation et le caractère artificiel du dialogue social organisé par le Gouvernement.
- Le second choix est en grande partie la conséquence du premier. Convaincu qu’aucune organisation syndicale n’accepterait de signer un accord et n’ayant de toutes les façons que peu de choses à « lâcher » pour y parvenir, le Gouvernement s’est refusé à entrer dans le jeu des réunions à 3 (organisations syndicales, patronat et Etat) qui font partie des us et coutumes du dialogue social à la française. A la théâtralisation des « grandes messes » de négociation, il a substitué l’image de réunions bilatérales, nombreuses mais infructueuses. Leur multiplication a donné le sentiment que le Gouvernement préférait l’apparence du dialogue à sa réalité. Cela d’autant plus que quand il a fait des concessions – et il en a fait de réelles sur la pénibilité, les carrières longues ou les mères de famille – il a choisi de les annoncer en Conseil des Ministres, donnant le sentiment de décisions octroyées plus qu’arrachées, voire prévues de longue date, dont aucun des partenaires sociaux n’a pu se prévaloir. De manière prévisible, cette attitude a poussé les syndicats dans une position de rejet complet, puisqu’ils n’avaient aucun élément leur permettant une sortie par le haut. Ainsi à la question, est-il indispensable d’espérer un accord pour engager les négociations publiques, les événements des dernières semaines répondent, du point de vue de la communication, par la négative.
En tout état de cause, le Gouvernement, en limitant la concertation avec les syndicats, a indirectement incité la population à s’exprimer, élargissant du même coup les termes du débat. Au lieu de rester centrée sur les moyens d’assurer à l’horizon 2020 l’équilibre financier du système de retraite par répartition sans baisse des pensions, ce qui est l’objet de la réforme, la discussion s’est élargie à la question de l’activité professionnelle, compliquant davantage les argumentaires des uns et des autres, et ouvrant ainsi une porte d’entrée aux jeunes pour manifester. Les messages du Gouvernement en sont devenus moins audibles, sur un terrain par ailleurs politiquement plus insaisissable.
Aujourd’hui, malgré une situation sociale difficile et encore éminemment variable, le Gouvernement semble en voie d’atteindre son but : la réforme sera votée puis promulguée, les pompes à essence réalimentées, les ordures ramassées, même à Marseille, et collégiens et lycéens reprendront le chemin de leurs établissements. Mais, faute d’avoir gagné la bataille de la communication, le Président de la République risque de ne pas trouver dans l’adoption de la réforme le rebond qu’il en escomptait. Plus grave pour l’avenir de nos retraites, le climat social qui a accompagné le débat parlementaire a poussé l’opposition à des prises de position qui faciliteront peut-être son retour au pouvoir mais lui en rendront l’exercice plus délicat. Tout en suscitant toujours plus de scepticisme à l’égard du politique dans l’opinion publique.