
De l’utilisation des commémorations historiques : l’exemple des 30 ans de la catastrophe de Tchernobyl dans le débat sur la transition énergétique
La transition énergétique est un sujet omniprésent dans les médias français, particulièrement depuis la COP21 en décembre dernier. L’anniversaire des 30 ans de l’accident nucléaire de Tchernobyl le 26 avril, quelques jours après la cérémonie de signature le 22 avril de l’accord de Paris est venu bousculer cette séquence, tant il souligne le décalage entre les déclarations d’intention et la réalité.
L’historien Pierre Nora évoquait dans un entretien au Monde en 20131 une « dérive commémorative » en France, tant les politiques sont nombreux à se livrer à un exercice d’« appropriation du passé en fonction des besoins du présent », avec un succès inégal. On se souvient par exemple du tollé soulevé par la proposition faite par Nicolas Sarkozy en 2007 de faire lire la lettre d’adieu de Guy Môquet à tous les lycéens de France en début d’année.
Et pourtant les 30 ans de la catastrophe de Tchernobyl, largement commémorés par l’Ukraine bien sûr, mais aussi le Japon et le voisin allemand, n’ont eu qu’un retentissement limité chez les politiques en France alors même qu’il s’agit toujours d’une des plus grandes catastrophes du XXème siècle.
Les accidents nucléaires de Tchernobyl et Fukushima (dont les 5 ans ont été célébrés le 11 mars dernier), et plus récemment la menace terroriste pesant sur les centrales (lire NRS du 8 avril) ont posé de manière dramatique la question de la sécurité nucléaire, préoccupation majeure pour la population française et celle des pays riverains. Dans les dernières années, on a ainsi vu l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse se mobiliser pour la fermeture des centrales présentes à leurs frontières. Sur l’air du « plus jamais ça », les opposants au nucléaire réclament la fin de l’activité sur ces sites (en particulier celui de Fessenheim), quand dans le même temps le « savoir-faire » nucléaire français est remis en question, notamment du fait des retards de construction et malfaçons des réacteurs EPR en Finlande et en France.
L’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl a été abondamment commenté dans les médias français : articles, reportages, interviews… mais pas par les responsables gouvernementaux. Notons à cet égard le poids évocateur des images de la centrale et la ville voisine abandonnées ou encore les témoignages dramatiques de « liquidateurs » survivants envoyés pour sécuriser le site et qui s’étonnent d’être toujours en vie.
Les anti-nucléaire ont tenté de profiter de ce sombre anniversaire pour mobiliser l’opinion, par des manifestations diverses en France. Ainsi le collectif « Happy birthday Tchernobyl » a-t-il organisé une performance participative le 25 avril à 19h sur le pont des Arts en présence de Corinne Lepage.
Le gouvernement français quant à lui, s’est retrouvé pris en tenailles entre le souci de ménager les champions nationaux de l’industrie nucléaire, et l’idéal de transition vers un nouveau mix énergétique plus durable. Hasard du calendrier ou maladresse politique, le 26 avril se tenait la quatrième conférence environnementale…
Les représentants du gouvernement se sont bien gardés de faire publiquement référence à Tchernobyl. Ainsi, si le président de la République a bien mentionné le décret à venir concernant la fermeture de Fessenheim en ouverture de la conférence environnementale, aucun rappel de Tchernobyl dans son discours.
Le gouvernement n’a certes pas pu faire l’économie de quelques annonces, en réponse aux injonctions des écologistes, dans un contexte de pré-campagne présidentielle. Mais celles-ci ne font que souligner ses contradictions face aux enjeux environnementaux et en particulier à l’épineux sujet nucléaire.
Ségolène Royal a annoncé mardi 26 avril l’extension du rayon des périmètres des plans particuliers d’intervention (PPI) de 10 à 20 km autour des centrales nucléaires françaises. Mais ces PPI ne sont pas sans rappeler un autre acronyme : la PPE, programmation pluriannuelle de l’énergie, est attendue depuis le vote de la loi de transition énergétique en juillet 2015. Il se trouve que les discussions achoppent… sur le nucléaire. Mais la ministre a confirmé en ouverture de la conférence environnementale serait que la feuille de route sur le nucléaire serait « bien déposée d’ici le 1er juillet »2. Seul le Premier ministre Manuel Valls, dans son discours prononcé lors de la conférence environnementale, « n’a pas oublié qu’il y a 30 ans […], c’était le terrible accident de Tchernobyl, qui a profondément marqué les esprits, et qui les marque encore. » Accident qui a d’après lui suscité « la prise de conscience de toute une filière. » Loin de l’interprétation des ONG, il a voulu y voir un signal de renouveau du nucléaire, saluant à cette occasion l’action de l’Etat, promoteur de la « refondation de la filière nucléaire ».
Le porte-parole d’Europe Ecologie – Les Verts, Julien Bayou, a quant à lui regretté que « depuis 2012, le gouvernement ne fasse que de la communication sur les questions écologiques ». Les organisations comme France nature environnement ont, elles aussi, exprimé leur inquiétude : « Si la France veut tenir à l’international son rang acquis avec l’accord de Paris, cela passe nécessairement par la mise en œuvre de la loi de transition énergétique et l’exemplarité de l’Etat », prévient son président, Denis L’Hostis.3
La commémoration de l’accident nucléaire de Tchernobyl a donc apporté de l’eau au moulin des opposants au nucléaire. La conférence environnementale, si elle a permis de rappeler les engagements de l’Etat en matière de transition énergétique, n’a absolument pas répondu aux inquiétudes sur le sujet. Une occasion manquée pour mettre l’histoire au service de l’action politique ?