
Le Festival de Cannes et sa montée des marches : une marque sur le fil
Le 70ème Palmarès du festival de Cannes a été révélé au cours de la traditionnelle soirée de clôture, marquant la fin de d’une quinzaine particulièrement haute en couleurs. Cannes reste à 70 ans un moment d’exception, une parenthèse qui figure aujourd’hui encore parmi les événements récurrents les plus médiatisés au monde, juste après les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football.
Alors que la Mostra de Venise et le Festival de Berlin ont plié face à la concurrence des nord-américains (tels que Sundance, Toronto, voire Deauville), Cannes a su préserver une véritable image de marque lui permettant de passer les ans. Décryptage des raisons de cette pérennité.
La France accueille tous les cinémas du monde
Festival international, Cannes donne à voir une palette exhaustive de ce qu’offre le cinéma contemporain. Au-delà de son vernis « auteuriste », on y retrouve le tout Hollywood et le Festival a toujours fait preuve d’une certaine forme d’ouverture. En témoigne la part belle donnée à la Chine – dont le box-office a explosé entre 2014 et 2016 (+37%) et qui devrait devenir le 1er marché mondial en termes de recettes dès 2019 – au cours d’une soirée, désormais bien installée dans l’agenda cannois : la « China Night », qui vise à promouvoir la coopération et l’échange entre le cinéma de l’Empire du Milieu et le cinéma international et notamment français.
Toutefois Cannes revendique également son identité « so French » : en tant que pays-cinéma, cinéphile et curieux, mais aussi – et surtout – en tant que modèle de défense et de promotion du cinéma comme expression artistique. La France, qui a notamment donné au cinéma mondial la Nouvelle Vague, défend un modèle économique qui lui est propre et qui offre aux oeuvres françaises et internationales un havre de production et de diffusion – ce que le Festival aime à rappeler chaque année.
L’organisation du Festival, et en premier lieu Thierry Frémeaux, a ainsi revu les règles de sélection du Jury : cette 70ème édition a été marquée par une vaste polémique liée à la présence de deux films produits par le géant de la SVOD – Netflix – et qui de fait, ne sortiront pas nécessairement sur grand écran, venant ainsi bousculer le saint triptyque producteur-distributeur-exploitant que défend avec force et constance la France. Après un débat mouvementé, une règle obligeant les films de la sélection à sortir en salle à partir de 2018 a été instaurée. « L’exception culturelle française » pourrait ainsi faire jurisprudence sur ce sujet qui bouleverse structurellement le secteur.
La création avant tout
En effet, si Cannes est le premier marché du film au monde et le « premier poumon » du financement du cinéma mondial, représentant des enjeux business colossaux, Cannes est aussi la plus grande manifestation de cinéma et reste le rendez-vous annuel de tous les cinéphiles. C’est encore l’un des rares endroits qui attire et mêle des cinéastes venus des quatre coins du globe.
A quoi cela tient-il ? Une programmation savamment travaillée, en lien avec la société actuelle et qui donne sa part belle à la création et aux expérimentations dans le domaine du 7ème art. Pour cette 70ème édition on pouvait ainsi trouver des oeuvres expérimentales, une installation dédiée à la réalisation en VR d’Alejandro Gonzalez Inarritu, des séries télé… et même des films produits par Amazon et Netflix, donc. Preuve que Cannes, loin de se replier sur son histoire passée, n’a de cesse de rester à jour.
Le rêve et les paillettes
Mais le Festival doit aussi entretenir son image de rêve et de paillettes, dont l’acmé reste la montée des marches, mais qui se propage également et de plus en plus via les marques partenaires (L’Oréal, Renault, Mastercard, hp…), qu’il s’agisse de Partenaires Officiels, Techniques ou autres marques. Ces derniers se donnent carte blanche, en dehors du sacro-saint Palais, pour s’approprier une part de l’image du Festival, au-delà des salles obscures : plages Magnum ou Chivas, restaurant Nespresso, Villa Schweppes, terrasses Martini, Grey Goose…
Si le Festival s’est ouvert à des partenariats marketing financièrement conséquents, il a toutefois pris soin de sanctuariser le coeur de sa matière : les films, les artistes, le jury – bref, le Cinéma. Ainsi l’affiche officielle ne comprend aucun logo, la montée des marches reste vierge de tout branding, tout comme la cérémonie d’ouverture et la remise du Palmarès.
Avoir su préserver cet équilibre savant peut expliquer la longévité de la « marque Festival de Cannes ».
Cependant, des artistes aux people, des producteurs aux marques, des exploitants aux plates-formes de streaming… le Festival doit faire face à un écosystème changeant. Saura-t-il rester cet événement incontournable pour toutes les parties prenantes du secteur tout en n’affichant que l’essentiel : le Cinéma et ses artistes ? Et lui sera-t-il encore longtemps possible d’accueillir le cinéma du monde tout en y revendiquant les valeurs d’un modèle typiquement français ? De la réponse à ces questions dépend la pérennité de la marque Festival de Cannes.