
Koh Lanta, analyse d’une crise médiatique.
Les participants au célèbre jeu de téléréalité Koh Lanta sont, légalement, des employés de la société de production et leur participation est encadrée par un contrat de travail. En ce sens, le décès d’un participant d’une crise cardiaque le premier jour du tournage sur une plage du Cambodge, largement relayé pendant tout le week-end de Pâques, est considéré comme un accident du travail, comme il s’en produit malheureusement plus de 500 chaque année en France. Sans susciter autant de polémiques ni même, la plupart du temps, attirer l’attention des médias.
Tenter d’expliquer les raisons de cette importante couverture par les médias, c’est mettre en lumière certains des ressorts de la crise médiatique. C’est la combinaison d’une série de facteurs qui transforme un accident en un événement médiatisé.
D’abord, le domaine d’activité lui-même joue un rôle essentiel : même s’il a perdu de sa gloire d’antan, le secteur de la télévision continue de fasciner ; et les médias aiment parler des autres médias… et surtout de leurs difficultés. Mais au-delà de ce facteur initial, l’intérêt et l’émotion suscités par le drame proviennent de la contradiction entre la finalité de l’activité, un divertissement télévisuel, et ses conséquences tragiques. Mourir pour un jeu sur une plage paradisiaque… l’absurde renforce le tragique.
Le deuxième facteur est bien sûr la notoriété à la fois de l’émission et de la chaîne qui la diffuse. Avoir la possibilité d’attaquer ou de mettre en cause l’émission de télé-réalité qui obtient la plus forte audience sur la chaîne leader du paysage audiovisuel français suffit pour mobiliser l’énergie de ceux qui cherchent à prouver l’existence d’un scandale et l’attention d’un large public.
Le troisième point est ce que l’on appelle dans notre métier le déroulement d’une « feuilleton », un cycle d’actions et de réactions qui entretient l’intérêt des médias. La mort du candidat a rapidement conduit à la décision d’annuler l’émission et de renvoyer en France les 200 personnes de l’équipe de production. Dans les jours qui ont suivi, et après que des révélations anonymes ont été mises en ligne peut-être par d’autres candidats, des rumeurs mettant en cause la façon dont la production a géré la situation au moment de la crise cardiaque et la façon dont les secours médicaux d’urgence ont apporté ou non leur aide ont commencé à se répandre. La controverse a pris une tournure tragique à la veille du week-end de Pâques avec le suicide du médecin de la production qui a justifié son acte extrême dans une lettre par laquelle il disait refuser de supporter le flot de commentaires relayés sur les médias sociaux, dont Twitter et Facebook, et sur le site d’information Arrêt sur Images.
En conséquence, le débat s’est déplacé vers la responsabilité des médias, un sujet qui génère toujours une couverture médiatique importante. Encouragés par les déclarations de la société de production affirmant que « cet événement tragique doit inciter ceux qui accusent et commentent sans discernement à faire preuve de responsabilité », les commentateurs se sont alors tournés vers certains sites ou blogs sur lesquels sont publiées des déclarations qui ne sont pas toujours vérifiées et des réactions » à chaud » des internautes, sans aucun filtre pour équilibrer le poids des mots.
A ces événements s’ajoutent quelques éléments circonstanciels comme l’absence d’actualités chaudes le week-end de Pâques pour les médias malgré la forte présence du Pape François ou les erreurs de communication de la société de production qui, après être restée trop longtemps silencieuse, a pu donner l’impression d’exploiter le suicide du médecin dans ses déclarations. Tous les éléments d’une bonne crise médiatique étaient réunis. Avec une limite.
Comme dans la plupart des crises médiatiques, celle-ci n’a pas duré plus de 72 heures, les aveux de Jérôme Cahuzac reconnaissant l’existence de son compte en Suisse, mardi après-midi, ayant relégué le sujet au second plan.