
La lettre d’Emmanuel Macron aux Français, retour sur une forme de communication politique inédite

Contrairement à ce qui a été souvent affirmé, il n’y a pas de précédent à la lettre adressée lundi par le Président de la République aux Français. Celles envoyées par François Mitterrand en 1988 puis par Nicolas Sarkozy en 2012 émanaient de présidents sortants, candidats à leur réélection. Elles détaillaient dans cette perspective leur programme pour les années à venir. Jamais un Président en exercice n’avait écrit à ses concitoyens pour leur demander leur avis sur les réformes à engager et les mesures à prendre d’ici la fin de son mandat.
S’il fallait se convaincre du caractère « a-normal » de l’initiative du Président de la République, il suffisait d’ailleurs, hier, de lire la presse nationale. La diversité des modes de traitement de sa lettre comme des analyses sur sa signification et sur les chances de succès du Grand Débat montre à quel point cette invitation au dialogue citoyen sort des codes habituels de la communication politique.
L’Humanité s’est refusée à publier le texte, les autres journaux parisiens s’en sont emparés mais de manière très différente. La Croix l’a intégralement reproduit dans une double page avec photo, Le Monde, Le Parisien et Les Échos ont fait de même, Libération s’est limitée à de courts extraits, en renvoyant ses lecteurs vers son site internet, et l’Opinion à un petit encadré.
Tout aussi significatif est l’emplacement choisi pour cette publication. Deux quotidiens ont choisi de séparer la lettre des pages consacrées à son analyse. Ainsi Le Figaro a relégué les extraits dans la rubrique Débats (p. 20) et les a équilibrés par une tribune de Laurent Wauquiez et d’une autre des présidents des trois principales associations d’élus locaux , François Baroin (Association des Maires de France), Dominique Bussereau (Assemblée des Départements de France), Hervé Morin (Association des Régions de France). Les Échos a publié la lettre dans son cahier Idées et Débats, rubrique Opinions p. 10, après avoir commenté l’information en p. 2 et 3.
On sera moins surpris par la diversité des analyses sur la signification même de l’initiative du Président : Libération et Le Monde sont sur la même ligne avec leurs titres respectifs, chacun dans son style, « L’écrit de rattrapage » et « Macron tente de relancer son quinquennat », Les Échos et La Croix sont plus factuels « Macron invite les Français à débattre » et « Place au débat ». Seul Le Figaro reprend la « punch line » du Président « transformons les colères en solutions ».
Enfin, si La Croix, Les Échos et Le Parisien ne se prononcent pas clairement sur les résultats à en attendre, Le Monde qualifie l’initiative de « grand pari », Le Figaro constate que « le pari du dialogue n’est pas gagné d’avance », Libération le qualifie de « périlleux ». Plus positive, l‘Opinion se demande « comment en écarter les périls ».
Nul ne peut dire à ce jour ce qui sortira du Grand Débat et si celui-ci permettra de régler la crise des Gilets Jaunes ou même s’il pourra aller à son terme. Mais une chose est certaine : si l’objectif premier du Président était de reprendre la main autrement qu’en parlant du respect de l’ordre républicain et de reconquérir du terrain médiatique la lettre l’a bel et bien rempli !
Alliés, indécis et opposants, la « lettre aux Français » est bien au cœur des débats et leur en fournit le cadre, celui de l’Élysée. Elle est omniprésente sur les réseaux sociaux, et « trending topic » français sur Twitter et Facebook.
Emmanuel Macron a changé de mode de communication en prenant la plume pour s’adresser aux Français, qui lui ont rappelé et reproché au cours des dernières semaines ses trop nombreuses petites phrases lâchées en interview ou en déplacement officiel. Ainsi, pas d’intervention télévisée au 20 heures, ni de tweets courts si vite oubliés : le Président de la République a soupesé ses mots. La forme marque donc la gravité et l’importance du moment. Il s’agit d’un choix hautement symbolique et perçu comme tel : Emmanuel Macron souhaite affirmer qu’il a pris la mesure de la défiance des Français vis-à-vis de sa personne mais également des institutions de la Ve République et leur propose d’engager un dialogue sur les moyens de rétablir la confiance.
Il reste à savoir si les Français vont saisir ou pas l’opportunité qui leur est ainsi offerte et, plus encore, ce que le Président et le Gouvernement pourront faire de leurs « cahiers de doléances et de propositions » et des débats locaux et nationaux auxquels ils vont donner lieu.
De la réponse à ces deux questions dépendra l’avenir de cette forme inédite de communication.