
L’annonce de la réforme territoriale, ou chronique d’un autosabotage
Le sujet était complexe, potentiellement explosif. Il exigeait donc tact et doigté, pour ne pas froisser les sensibilités locales et tenir à distance les élus locaux, soucieux de défendre leur pré carré.
Mais, face à une popularité présidentielle en chute libre et a une défaite aux européennes menaçant l’assise de son pouvoir, il y avait urgence : François Hollande a donc fait le choix, audacieux pour certains, inconsidéré pour d’autres, de mettre sans attendre les pieds dans le plat de la réforme territoriale.
Et l’urgence, sans surprise, n’est pas bonne conseillère.
Après quelques rapides tractations menées dans les salons de l’Elysée, une première version de la réforme est envoyée dans la précipitation lundi à la presse régionale, qui attendait une annonce du chef de l’Etat pour 20h00. Dans ce texte (finalement diffusé à 20h45), François Hollande propose, pour renforcer les régions de ramener leur nombre de 22 à … « XXX » ! L’Elysée ne sait donc toujours pas si les régions françaises doivent passer de 22 à 14 (le chiffre in fine retenu) ou à 12, comme l’avait révélé la veille le Journal du dimanche. Il a fallu attendre « une bonne demi-heure » pour que le nombre définitif de régions parvienne enfin à la presse, racontera Patrick Fluckiger, éditorialiste aux Dernières Nouvelles d’Alsace.
S’ensuivent alors plusieurs annonces contradictoires et tweets intempestifs – « A 20 heures, TF1 annonçait la Picardie avec le Nord-Pas-de-Calais » et « deux heures plus tard, sur France 2, nous étions avec la Champagne-Ardenne », constatera, perplexe, le président du conseil régional de Picardie, Claude Gewerc . Cerise sur le gâteau, le secrétaire d’Etat à la Réforme territoriale, André Vallini, annonce mardi sous le feu nourri des réactions fusant de toutes parts, des économies de 10 milliards d’euros d’ici 5 à 10 ans, grâce à cette réforme, soit bien moins que les 12 à 25 milliards d’euros par an annoncés par le même André Vallini au début du mois.
« D’un strict point de vue de com, c’est une catastrophe. On s’est savonné la planche tous seuls », confiera un conseiller ministériel au journal Libération.
Ce qui devait ressembler à une reprise en main politique se transforme en une aberrante cacophonie. Cela en deviendrait presque comique si les enjeux n’étaient pas cruciaux au regard du poids financier que représente l’actuelle organisation territoriale, régulièrement dénoncée par la Cour des Comptes.
Peut-être, en tranchant rapidement, le Président imaginait couper l’herbe sous le pied des barons locaux (les socialistes présidant 21 des 22 régions métropolitaines), susceptibles de faire valoir leurs desiderata et risquant d’enliser la réforme. Mais en agissant dans la précipitation, le Président s’est surtout aliéné le soutien de l’opinion publique.
Le sentiment d’une réforme territoriale bâclée, puzzle reconstitué à la hâte dans des bureaux parisiens, alimente le discrédit politique et fait perdre de vue la légitimité de la réforme. Alors qu’il aurait fallu là encore présenter une vision claire du projet, cette réforme à marche forcée risque d’attiser la colère et les réactions épidermiques.
Le millefeuille administratif est certes financièrement indigeste, mais, désormais, contre toute attente, c’est sa recomposition qui passe mal.