
Les ministres et les illettrés: en communication tout est relatif.
Le même mot n’a pas le même sens, ou en tout cas la même portée, selon les circonstances de temps, de lieu et la personnalité de ceux qui l’emploient. Ce qui compte ce ne sont pas tant les mots employés que la manière dont ils sont reçus et perçus. Et c’est bien souvent une question de contexte.
Emmanuel Macron, le nouveau ministre de l’économie du Gouvernement Valls 2 vient de l’apprendre à ses dépens.
Pour sa première interview en direct par Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, le mercredi 17 septembre, il a eu des mots malheureux ou plutôt un mot, qui a immédiatement enflammé la toile … Alors qu’il était interrogé sur le pouvoir d’achat des français et l’emploi, Emmanuel Macron a pris comme exemple les abattoirs bretons Gad, placés en liquidation judiciaire depuis le 11 septembre par tribunal de commerce de Rennes. Il a alors déclaré « il y a dans cette société une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées, pour beaucoup on leur explique : « vous n’avez plus d’avenir à Gad ou aux alentours. Allez travailler à 50 ou 60km ». Ces gens là n’ont pas le permis de conduire … »
En employant l’adjectif « illettrées », Emmanuel Macron a déchaîné les réseaux sociaux puis provoqué un début de polémique politique.
Pourtant si l’on se réfère au compte rendu analytique de la séance du 18 février 2014 du Sénat, Emmanuel Macron n’est pas le seul à avoir qualifié ainsi les salariés de Gad.
Le 18 février dernier, Michel Sapin, alors ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle, a lui-même déclaré aux cours des débats : « En Bretagne, j’ai discuté avec des gars de Gad. Pas facile, certains sont illettrés… ». Quelques minutes plus tard, il était soutenu par Maryvonne Blondin sénatrice PS du Finistère qui rapportait : « Je veux aussi apporter mon témoignage sur les salariés de Gad. Malheureusement, beaucoup d’entre eux, nous l’avons constaté, ne savaient plus lire ni écrire. Les réglementations de sécurité étaient élaborées à partir de pictogrammes… ».
C’était en février dernier… Et à l’époque personne ne s’est offusqué de l’utilisation du mot « illettré ».
Europe1 n’est pas le Palais du Luxembourg, ni »l’interview de Jean-Pierre » une séance sénatoriale d’examen d’un projet de loi…et Emmanuel Macron n’est pas Michel Sapin. Un ministre novice, ancien banquier chez Rothschild, d’une part, un ancien ministre de François Mitterrand puis de Lionel Jospin, élu député pour la première fois…en 1981, ancien président de conseil régional, d’autre part.
Un jeune surdoué, passé par Normale et ancien élève de l’ENA, au profil de jeune loup pressé assumé et même revendiqué, qui en 15 jours a réussi à se faire un nom dans l’opinion publique et fascine les médias, face à un élu blanchi sous le harnais, tout en rondeur, qui a mené une carrière exceptionnelle de longévité sans jamais faire d’éclat ou vraiment tenir le devant de la scène. Et, ironie de l’histoire, deux hommes que leurs fonctions respectives dans le nouveau gouvernement conduisent inéluctablement à une certaine rivalité. Comme pour mieux symboliser cette opposition, là où Sapin parle des « gars de Gad », Macron dit « ces gens-là ». Le résultat ne peut donc surprendre.
S’il a trébuché lors de sa première interview, Emmanuel Macron a ensuite montré qu’il possédait les fondamentaux de la communication de crise. Face à une erreur incontestable, au lieu de partir dans des justifications et de tenter de revenir sur ses propos, il a choisi la seule stratégie efficace: les excuses. L’après-midi même, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée Nationale, il a présenté ses «excuses les plus plates aux salariés que j’ai pu blesser, à travers ces propos et je ne m’en excuserai jamais assez ». «Mon action, elle sera pour eux, et c’est ce que je disais ce matin», a-t-il ensuite ajouté, coupant ainsi court à la polémique.
La conférence de presse du Président puis l’officialisation du retour de Nicolas Sarkozy devraient faire le reste et renvoyer l’incident au rang des cas à étudier dans les écoles de communication.