
« L’itinérance mémorielle » ou quand une erreur en cache une autre, plus fondamentale
Il n’aura fallu que quelques heures à l’Elysée pour réaliser que la polémique sur l’hommage à Pétain allait tout emporter sur son passage et gâcher la seconde partie de l’itinérance mémorielle voulue par le Président de la République. Si ce n’est compromettre l’ensemble des commémorations du Centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Finie la célébration des Maréchaux dans la Cour des Invalides, place à celle des officiers et sous-officiers de la Grande Guerre.
Certes, le Général de Gaulle lui-même n’avait pas hésité à faire la distinction entre la victoire de Verdun et la poignée de main de Montoire. De même, jusqu’en 1992, les Présidents de la République successifs ont fait fleurir la tombe de Philippe Pétain tous les 11 novembre.
Mais depuis, les Français ont une meilleure perception de la réalité de la collaboration, et notamment du rôle de Vichy dans la déportation des Juifs. N’est-ce pas le secrétaire général du ministère de l’Intérieur de Pétain, René Bousquet, qui a proposé aux Allemands qui n’en demandaient pas tant, d’inclure les enfants dans la rafle du Vel’ d’Hiv’ ? Pour ne pas séparer les familles ! Comment au demeurant la République pourrait-elle honorer un homme qui a été condamné à l’indignité nationale et n’a échappé à la peine de mort qu’en raison de son âge ?
Mais cette erreur, dont on laisse entendre maintenant qu’elle vient de l’Etat-Major des forces armées, aurait été évitée, si une autre, plus fondamentale, n’avait pas été commise. Vouloir commémorer les Maréchaux était indiscutablement une rupture dans l’itinérance mémorielle imaginée et organisée de longue date par le Président de la République.
Ce n’est pas les maréchaux qu’il faut honorer mais les poilus et les citoyens !
L’originalité et la force de cette initiative tenaient en effet dans l’idée de visiter les onze départements dévastés par la guerre, d’honorer les villages à jamais détruits ou les batailles perdues pour rendre hommage aux souffrances des Français, civils et militaires qui ont subi pendant quatre ans le poids et les conséquences d’un affrontement sans précédent. Des souffrances à l’origine de l’erreur tragique que fut le traité de Versailles, puis plus tard de la construction de la ligne Maginot, du renoncement face à la remilitarisation de l’Allemagne et aux premières agressions hitlériennes, avant l’effondrement de juin 1940.
Mais il est clair que cette autre lecture de la Première Guerre mondiale était aussi une manière pour un Président souvent accusé, à tort ou à raison, d’être plus à l’écoute de la France qui réussit que de celle qui souffre, de montrer qu’il n’en est rien et de donner à voir l’image d’un chef de l’Etat proche et attentif à la souffrance de ses concitoyens. Un message d’autant plus fort qu’il serait délivré sur un territoire qui, 100 ans après la fin de la Grande Guerre, souffre à nouveau pour d’autres raisons et dont beaucoup des habitants désespèrent.
Or la carrière et le comportement des futurs maréchaux de 14-18 ne s’inscrit en rien dans cet esprit. Ils n’ont pas, contrairement à ceux de Napoléon, chargé à la tête de leur troupe. Ils n’ont pas escaladé les côteaux de Champagne ou défendu les plateaux de l’Artois. Ils ont passé la guerre à Paris ou dans des châteaux réquisitionnés, pas dans les tranchées. Aucune de leur victoire n’est due à une manœuvre militaire brillante ou innovante. Leur seule stratégie a été d’envoyer inlassablement leurs soldats à l’assaut des lignes ennemies. Leurs victoires ont été fonction d’une dramatique combinaison entre le nombre d’obus tirés et le nombre de poilus mis en ligne, pondérée par l’héroïsme, le stoïcisme, l’abnégation et parfois la résignation de ceux-ci. Même si, paradoxe de l’histoire, Pétain est celui d’entre eux qui s’est le plus éloigné de ce modèle tragique. D’où son exceptionnelle popularité parmi les anciens combattants après-guerre.
Finalement, c’est l’engagement des troupes américaines en 1918, qui en modifiant le rapport des forces, a permis la victoire. Les Maréchaux de 14-18 n’ont donc en aucun cas été des « premiers de cordée » et la République les a suffisamment honorés en leur conférant leur titre.
Une erreur qui entache une initiative brillante et originale. Décidément, la communication est un art d’exécution… comme la guerre !