
Livres politiques: pourquoi en écrit-on encore à l’ère du 2.0 ?
L’écriture d’un livre est une tradition solidement ancrée dans la vie politique française, qu’on pense aux Mémoires du Général de Gaulle, au Nœud gordien de Georges Pompidou ou encore au Coup d’Etat permanent de François Mitterrand, qui fut suivi de nombreux autres ouvrages. On aurait pu croire qu’à l’heure des réseaux sociaux, et d’autant plus à une époque de désaffection pour la politique et ses dirigeants, cette tradition disparaisse. Aujourd’hui les messages en 140 caractères relaient en temps réel à des milliers de followers les messages, humeurs et prises de positions des femmes et hommes politiques de tout bord.
Pourtant la tradition perdure, comme en témoigne l’énumération (non exhaustive) des dernières parutions à droite comme à gauche : Philippe de Villiers avec Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Albin Michel), Alain Juppé avec Mes chemins pour l’école puis Pour un Etat fort, (JC Lattès). François Fillon avec Faire, (Albin Michel). Nicolas Sarkozy avec La France pour la vie (Plon), Jean-François Copé avec Le sursaut français (Stock), Bruno Le Maire avec Ne vous résignez pas ! (Albin Michel)… De l’autre côté de l’échiquier politique, Christiane Taubira avec Murmures à la jeunesse (éd. Philippe Rey), Michel Sapin avec L’écume et l’océan : chronique d’un ministre du travail par gros temps (Flammarion), Cécile Duflot avec De l’intérieur: Voyage au pays de la désillusion (Fayard) …Et d’autres sont encore attendus prochainement.
Tous n’ont pas le même succès. Mais l’enjeu n’est pas de devenir un best-seller ni a fortiori de faire entrer son auteur à l’Académie. L’objectif n’est même pas forcément d’être lu : il suffit qu’on en parle. Le livre devient un outil au service d’une stratégie de communication sur soi-même.
Cette stratégie passe par l’idée que l’on se fait, en France tout particulièrement, de l’écrit et de l’écrivain. « Je pense, donc j’écris » Ou plutôt si j’écris, c’est parce que j’ai quelque chose à dire, quelque chose d’important qu’il me faut prendre le temps de vous exposer. Le livre sert au politique à asseoir sa crédibilité, vis-à-vis de ses collègues et rivaux ainsi que vis-à-vis des médias et du grand public. A l’heure du zapping, le livre permet de développer sa pensée et de mettre de la cohérence là où les interviews dans les médias passent du coq à l’âne en fonction de l’actualité. Ainsi, que ce soit pour présenter un programme, faire entendre sa voix ou bien analyser le fonctionnement de notre société ou de nos institutions, le livre est un passage obligé. C’est un gage de crédibilité et de sérieux. Le livre permet d’asseoir un statut.
C’est aussi le moyen pour l’auteur de dire sa part de vérité et de renvoyer une image de transparence et d’authenticité. Il permet de s’adresser d’une façon différente au public, de jouer le jeu de l’introspection voire du mea culpa assumé, à la façon du Rousseau des Confessions : « Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus. J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise ». Ainsi N. Sarkozy déclare-t-il dans La France pour la vie. « …peut-être verra-t-on dans cet exercice d’écriture une exigence d’authenticité pour rétablir la confiance. Mission impossible ? Peut-être. Mais au moins me serai-je exposé personnellement et aurai-je essayé…. C’est à vous que je veux parler ».
Gage de sincérité, le livre permet de lever le voile sur sa personnalité, de montrer une vérité loin de l’image qu’en donnent les médias : « Au début, quand je lisais des articles sur ma « froideur », cela me faisait de la peine. Aujourd’hui, cela me fait sourire car je sais ce que je ressens, ce que je reçois, ce que je donne ». (A. Juppé, Pour un Etat fort).
La publication du livre s’inscrit nécessairement dans un tempo politique mais aussi médiatique précis. Ainsi Nathalie Kosciusko-Morizet choisit-elle, pour annoncer sa candidature à la primaire, la journée de la femme et le jour de publication de son nouveau livre. Derrière chaque lecteur, il y a un électeur potentiel qu’il faut convaincre et séduire. D’où le choix du moment, en jouant parfois de l’effet de surprise, comme pour La France pour la vie dont la parution a été orchestrée de manière à ce qu’il n’y ait aucune fuite jusqu’à sa parution.
Les bandeaux des éditeurs, les meilleures phrases sur twitter, la parution des bonnes feuilles dans le média qui correspond au positionnement de l’auteur (Le Figaro pour F. Fillon par exemple), puis le passage de ce dernier dans quelques émissions choisies – JF. Copé dans le Divan chez Fogiel, N. Sarkozy dans Des paroles et des actes – , sont autant de moyens de médiatiser l’ouvrage et de faire passer les principaux messages de son auteur suivant l’angle choisi.
Moyen pour continuer à exister, outil pour être invité chez Ruquier et alimenter twitter, le livre est aussi, évidemment, le moyen de poser et donc d’orienter le débat. Au lecteur alors, surtout s’il est journaliste, de s’extraire de ce que dit le livre pour s’intéresser aussi – et surtout ? – à… ce qu’il ne dit pas !