
Notre regard sur… le message d’un Président.
Disons-le d’emblée, la tâche d’Emmanuel Macron, lundi soir, paraissait difficile, voire impossible. Il s’agissait pour lui de renouer le lien avec son peuple qui persistait à approuver massivement les revendications des gilets jaunes, malgré les violences, sans perdre pour autant le soutien du cœur de son électorat qui n’aurait pas compris et a fortiori admis un « changement de cap ». Tout en s’assurant de l’appui ou au moins d’une neutralité constructive des corps intermédiaires et des chefs d’entreprise.
Les trois dernières prestations télévisées du Président n’incitaient guère à l’optimisme. Que ce soit dans le clair-obscur de son bureau et en s’appuyant sur des notes raturées, complaisamment montrées par le réalisateur, après le remaniement consécutif à la démission de Gérard Collomb, ou sur le Charles de Gaulle, porte-avions à propulsion nucléaire, entouré d’avions de chasse et dans le ronronnement de la machinerie du bateau, pour évoquer la transition énergétique après le sommet du 11 novembre et les vicissitudes de son itinérance mémorielle, ou enfin dans la salle des fêtes sur-éclairée de l’Elysée, pour la présentation du plan sur la transition énergétique, Emmanuel Macron, loin d’apaiser les revendications, paraissait les renforcer et les radicaliser. Il semblait avoir perdu la pertinence et la force de son verbe. Suscitant ce mot terrible d’un gilet jaune « il nous parle de la fin du monde, on lui parle de la fin du mois ». Sans mentionner la valse-hésitation, en début de semaine dernière, entre son Premier ministre et lui, sur la question de savoir si la taxe carbone était « différée », « suspendue » ou « annulée ». Et ce n’est pas la désastreuse déclaration de Richard Ferrand à l’AFP, le jeudi soir, affirmant que le Président ne s’exprimait pas « pour ne pas jeter de l’huile sur le feu » qui avait pu rassurer. La macronie semblait avoir oublié les fondamentaux de la communication politique.
Et bien disons-le sans hésiter, le Président a largement rempli sa mission et atteint ses objectifs. Contrairement aux trois précédentes interventions, son discours a marqué une rupture ou au moins a déclenché un changement de tendance.
En témoignent les premiers sondages post-intervention : ses soutiens passent de 20 à 40%, ceux des gilets jaunes de 80 à 60 %, les mesures annoncées sont jugées positives par une large majorité des personnes interrogées même si le nombre de celles qui pensent qu’elles sont insuffisantes est encore élevé. Plus significatif encore, mardi la Police a dénombré 1 000 gilets jaunes sur les ronds-points contre 10 000 la semaine précédente. Les commentaires des corps intermédiaires et des médias ont retrouvé une certaine modération.
Pourquoi ce succès ? Pour des raisons de forme et de fond.
Sur la forme, Emmanuel Macron a lu, en s’aidant d’un prompteur, un discours très bien écrit, d’une voix calme et rassurante, sans jamais tomber dans l’arrogance ou dans « l’intellectualisme », qui lui sont souvent reprochés. Il a su être court, contrairement à son penchant naturel, tout en n’oubliant aucun aspect de la crise. Il n’avait pas le droit au moindre dérapage, il n’y en a pas eu.
Malgré ce que l’on apprend trop souvent dans les écoles de communication, il est parfois recommandé de s’en tenir au texte que l’on a préparé et pour cela de le lire. Quitte à s’aider d’un prompteur.
Sur le fond, il a développé les cinq messages qui lui permettaient de traiter toutes les composantes de la situation :
- un rappel aux exigences de l’ordre républicain et un message de fermeté particulièrement bienvenus après les violences des deux week-ends précédents, notamment la mise à sac de l’Arc de Triomphe, véritable offense à la mémoire des soldats morts pour la République et donc à celle-ci, dont on s’étonne qu’elle n’ait pas soulevé plus d’indignation et de réprobation,
- l’annonce de mesures significatives mais pas déraisonnables en faveur des défavorisés : augmentation du SMIC via la prime emploi, CSG des retraités, heures supplémentaires sans taxe et sans charge, possibilité offerte aux entreprises d’attribuer une prime exceptionnelle de fin d’année également sans charge et sans taxe, il y en avait pour (presque) toutes les catégories prioritaires,
- un mea-culpa rendu nécessaire par l’hostilité suscitée par la personne du chef de l’Etat, dans des termes clairs mais fermes et respectueux de sa fonction,
- une défense courageuse de la réforme de l’impôt sur la fortune au nom de la nécessité de développer l’investissement productif et de renforcer l’attractivité de notre pays,
- l’accent mis sur le futur débat national qui doit aboutir à une refondation du contrat social, dans des termes suffisamment généraux et imprécis pour que chacun puisse y trouver du « grain à moudre » sans pour autant réduire la marge de manœuvre de l’exécutif et sa capacité à adapter le contenu des futures discussions en fonction de l’évolution de la situation.
Un vrai succès qui ne garantit pas pour autant un avenir serein.
Après son discours, Emmanuel Macron a repris la main mais il lui reste au moins deux problèmes majeurs à affronter.
Tout d’abord, il a confirmé son intention d’engager début 2019, trois réformes fondamentales, retraites – allocations chômage – État, qui ne concernent pas forcément les Gilets jaunes actuels mais seront autant d’occasions de susciter des vocations… D’autant plus que les principaux leaders de gauche ne se sont pas privés de souligner, après le discours du Président, que « la lutte paie ». Et que les élections européennes approchent.
Par ailleurs, l’hostilité manifestée par une partie importante de l’opinion à l’égard de la personne même du Chef de l’État, devenu le symbole de toutes les fractures françaises – riches/pauvres, Paris/Province, métropoles/zones péri-urbaines et rurales, bobos/France « profonde », jeune et beau/tous les autres – constitue à l’évidence un frein à la mise en œuvre de sa volonté de transformation de notre société.
Que faire ?
En premier lieu mettre plus de hâte à lancer et mener le grand débat public qu’à annoncer le contenu détaillé des prochaines réformes. Il faut lancer celles-ci pour ne pas paraître renoncer, il ne serait pas judicieux de vouloir aller trop vite. Laissons passer l’échéance électorale avant d’annoncer des mesures trop « disruptives ».
En second lieu, tirer parti de ce débat national pour renouer le dialogue avec les citoyens, mais en évitant tous les errements des derniers mois. Par exemple, organiser des réunions de travail, non médiatisées, avec des participants au grand débat pour entendre leurs conclusions et propositions et en discuter. On pense à Jacques Chirac, crédité à l’automne 1994 de 6 % des intentions de vote, sillonnant le territoire, un petit carnet à la main, pour recueillir les suggestions des différentes catégories socio-professionnelles dans le cadre de réunions « tupperware ». Et élu six mois plus tard sur le constat de la fracture sociale.
En somme, il s’agit pour Emmanuel Macron de retrouver non seulement le fondement de sa candidature, le « en même temps » par un meilleur équilibre entre mesures en faveur de la croissance et mesures sociales, mais aussi le sens de la démarche de ses premiers soutiens partis lors de l’été 2016 à la rencontre des Français. Avec les limites et les adaptations qu’impose désormais son statut de Président de la République.