
Les GAFA : tous producteurs de contenus !

Depuis le 19 septembre, YouTube propose à ses abonnés Premium deux séries originales, « Groom » et « Les Emmerdeurs », 100% françaises. Elles s’ajoutent à une soixantaine de contenus propriétaires déjà disponibles pour les abonnés. Et YouTube prévoit 50 autres lancements dans les mois à venir.
Depuis longtemps, les GAFA ne se contentent plus d’héberger des contenus émanant des éditeurs que sont les médias et producteurs traditionnels. Ils les agrègent. C’est ainsi qu’ils sont devenus de puissants vecteurs d’information, même en France, où 38 % de la population déclare accéder à l’information depuis Internet (77% chez les 18-24 ans et 49% chez les CSP+)*. Aux Etats-Unis, ils sont 68% dans ce cas.
Mais d’hébergeurs et agrégateurs, les GAFA deviennent de plus en plus des éditeurs , ce qui n’est pas sans avoir un certain nombre de conséquences notamment en matière de responsabilités.
D’hébergeur à éditeur : une tendance de fond
La plate-forme de partage de vidéos sur Internet Youtube s’engouffre dans la brèche ouverte par d’autres tels que Netflix, Amazon ou encore Facebook et même Apple …
En 1998, Netflix, spécialisé dans la location et l’achat de DVD en ligne, se transforme en une plate-forme de visionnage de films et de séries, puis décide de produire ses propres productions audiovisuelles. L’un de ses films a d’ailleurs obtenu un Lion d’Or à la Mostra de Venise, reconnaissance ultime pour entrer dans le cénacle du 7ème art, qui lui avait été refusé quelques mois plus tôt au Festival de Cannes
Amazon, dans ses ambitions de gigantisme, a produit récemment plusieurs séries, parmi lesquelles The Marvelous Mrs Maisel, primée aux Emmy Awards le 17 septembre dernier.
Afin de doper sa plate-forme Facebook Watch, l’entreprise fondée par Marc Zuckerberg a conclu des partenariats avec CNN et Fox News pour la diffusion d‘émissions d’information. Facebook devient ainsi coproducteur de ces contenus aux côtés de grands médias internationaux.
De son côté, Apple a déjà investi plus d’un milliard de dollars afin de produire ses propres séries exclusives et espère ainsi rivaliser avec Netflix et Amazon. Afin d’améliorer sa programmation télévisuelle, la firme californienne n’hésite pas à débaucher des cadres supérieurs issus de grandes majors comme Sony.
Tous les géants du net ont ainsi décidé, non plus seulement de relayer des contenus ou de fournir des produits, mais de créer les leurs, tout en assurant leur diffusion. Alors que la valeur boursière d’Amazon a dépassé le milliard de dollars au NASDAQ et que les autres géants de la Silicon Valley continuent de voir leurs bénéfices croître, on peut s’interroger sur la raison pour laquelle tous se lancent dans cette guerre à la création de contenus propriétaires.
La fin du tout gratuit ou le début de la premiumisation
Premier constat, l’approche des plates-formes a évolué : elles ne veulent plus être de simples agrégateurs de contenus mais souhaitent créer du lien avec les utilisateurs par des contenus propriétaires. C’est dans la production de contenus que se trouve la puissance de différenciation. YouTube a engagé de longue date sa politique de coproduction de contenus, en offrant un soutien logistique et financier aux youtubeurs les plus performants.
Second constat, les plates-formes sont amenées à revoir leur business model. En effet, si cette premiumisation de l’offre permet d’accéder à des contenus originaux, elle permet surtout d’accéder à des contenus sans publicité et personnalisés à la demande. Ce mouvement s’inscrit dans les nouvelles habitudes de consommation des internautes, en particulier les 18-35 ans, qui utilisent largement les bloqueurs de publicité, réduisant ainsi la visibilité des annonceurs avec pour impact immédiat une baisse des revenus publicitaires des plates-formes. Le tout gratuit semble trouver ses limites. Les acteurs misent désormais sur l’abonnement, le recours à des algorithmes puissants pour proposer des contenus de plus en plus ciblés et capter ainsi l’attention de leurs utilisateurs. C’est la fameuse économie de l’attention : le » temps de cerveau disponible » est plus que jamais valorisé.
D’hébergeur à éditeur : un changement de statut qui implique de nouvelles responsabilités
Le passage d’hébergeur à créateur de contenus ne se résume pas à un changement de business model. La casquette de créateur de contenus implique de nouvelles contraintes, de nouvelles obligations, au même titre que n’importe quelle chaîne de télévision. Ce nouveau statut, que les GAFA endossent parfois malgré eux, engendre de nouvelles responsabilités. Jusqu’ici, ils n’étaient pas responsables des contenus publiés par leurs utilisateurs : ils avaient à supprimer les contenus illégaux ou offensants, une fois que ces derniers leurs étaient signalés. Ils n’avaient aucune obligation légale de surveiller les informations qu’ils hébergeaient et leur responsabilité n’était engagée que s’ils avaient effectivement eu connaissance du caractère illicite de certaines informations et n’avaient pas agi promptement pour les retirer.
Lorsque Mark Zuckerberg affirme que Facebook est un média, « au même titre que les autres éditeurs comme le New York Times, CNN », il devient responsable des contenus qui y sont hébergés. On comprend mieux pourquoi Google a mis en place et progressivement renforcé des équipes dédiées au contrôle des contenus publiés sur Youtube.
Puisque les GAFA deviennent des médias, ils doivent s’interroger sur leur ligne éditoriale, leurs valeurs, leur discours, leurs engagements … au même titre que n’importe quel média. Facebook vient d’en faire l’expérience à l’occasion de ses négociations avec les autorités chinoises et les réactions qu’elles ont provoquées en interne.
Cette évolution inéluctable aura, à n’en pas douter, des conséquences sur les relations des GAFA avec les médias traditionnels, avec à la clé soit une guerre ouverte soit de possibles stratégies d’alliance. La presse française semble déjà avoir choisi son camp… Le 20 septembre, les organisations professionnelles de la presse écrite française ont créé l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) avec pour objectif affiché de mieux défendre leurs intérêts, en particulier contre les géants de la Silicon Valley.
Car au-delà des intérêts corporatistes, l’enjeu est clair. Ce qui est en cause c’est la liberté de la presse, et plus généralement des médias, leur indépendance et leur rôle de contre-pouvoir.