Le paradoxe du projet de Loi Sapin 2 : apporter la transparence dans l’opacité

Le projet de loi Sapin 2, examiné hier mardi 25 mai 2016 par la commission des lois de l’Assemblée nationale, veut réformer la pratique de la représentation d’intérêts, plus communément appelée lobbying, et la rendre plus transparente. Mais pas seulement. Et c’est justement tout le paradoxe de cette « méga-loi ». Traitant de multiples et disparates sujets dans un seul et même texte, celui-ci contribue par cette méthode à favoriser une pratique opaque du lobbying, au moins pour le temps de son examen et de son adoption.
Pas moins de quatre ministres sont mobilisés pour les débats – le garde des Sceaux pour ses dispositions pénales, le Ministre de l’économie pour ce qui reste de son ancien projet Noe, le Ministre de l’agriculture puisque le projet de loi touche aussi à l’agriculture, et bien entendu le Ministre des finances, afin de « chapoter » le tout, pour reprendre les termes de Michel Sapin auditionné par les commissions des lois, des finances et des affaires économiques.
La commission des lois, saisie au fond, a dû déléguer une partie de l’examen aux commissions des finances et des affaires économiques, comme c’est la pratique pour ce type de loi fourre-tout. Impossible en effet d’identifier un rapporteur à la fois spécialiste de la transparence de la vie politique mais aussi de dispositions fiscales et économiques sur les sujets les plus divers. Ce système de délégation à d’autres commissions est la meilleure réponse parlementaire à une telle situation mais n’est clairement pas optimal pour l’étude approfondie des articles… et des projets d’amendements proposés aux parlementaires par les lobbyistes.
Par ailleurs, pour tenir le rythme de l’agenda parlementaire et l’examen de nombreux projets de loi, le Gouvernement impose une cadence au pas de course. Conséquence ? L’augmentation de la vitesse d’examen des projets de loi, projets de loi pourtant de plus en plus complexes, rend encore plus difficile et donc plus opaque leur examen et surtout celui des multiples amendements déposés à l’initiative des groupes d’intérêts les plus divers.
A l’heure du débat sur la transparence et la place du lobbying, nous sommes convaincus chez CLAI que la première mesure nécessaire pour plus de transparence dans la profession, est en réalité, non pas d’imposer des contraintes aux lobbyistes – même si certaines d’entre elles sont évidemment nécessaires – , mais plutôt de permettre aux parlementaires de mener leur travail dans un cadre optimal, d’avoir le temps pour étudier les propositions de la société civile et au final, de prendre la décision la plus éclairée possible.
Le projet de loi « transparence, lutte contre la corruption, modernisation de l’économie » est ainsi paradoxalement un parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire pour diminuer l’opacité de la vie politique : trop de sujets différents, un agenda ne permettant pas l’examen serein et approfondi du texte par les parlementaires et au final des modalités d’étude et de débat qui posent question sur la capacité des parlementaires à mener le travail d’analyse que la Nation leur demande, pour mieux rejeter ou au contraire soutenir les demandes des différents groupes d’intérêt.
Ségolène Redon et Teoman Bakoglu