
Sécurité routière : une communication au radar
La communication sur la sécurité routière est, depuis le début des années 1970, comme l’un des axes forts et pérennes de la communication gouvernementale. Répondant à un enjeu progressivement devenu prioritaire aux yeux de l’opinion – réduire le nombre de morts sur les routes (17 000 morts en 1970) – , son déploiement a été couronné de succès (4443 en 2009). Dans ce contexte de stabilité et d’efficacité, les ratés de la récente communication sur le retrait des panneaux annonçant les radars font exception et ne manquent pas de surprendre.
Ces annonces, qui ont occupé la scène médiatique au début du mois de juin, avaient été précédées fin 2010 par des mesures d’assouplissement des règles relatives au permis à point et aux conditions nécessaires à la récupération des points perdus.
L’évolution du contexte début 2011 a toutefois changé la donne : en effet, les premiers mois de l’année ont coïncidé avec une forte hausse des accidents de la route, y compris mortels. Afin de marquer sa mobilisation sur le sujet, le gouvernement a alors entendu annoncer de nouvelles mesures très rapidement, faisant de ce fait l’impasse sur la concertation et les explications qui auraient dû les précéder. Cet effort de pédagogie était d’autant plus nécessaire que le retrait des panneaux avertissant de la présence des radars consistait à revenir sur une mesure présentée comme fondamentale peu d’années auparavant. De surcroit, ce tournant vers plus de fermeté semblait être un revirement total par rapport aux mesures décidées quelques mois auparavant. Ou reprendre d’une main ce qui venait d’être accordé de l’autre.
Or, en communication, la forme suit le fond : ces annonces dépourvues de travail pédagogique ont logiquement suscité une levée de boucliers tant de la part d’automobilistes signalant leur incompréhension que d’industriels défendant leurs intérêts économiques, ou encore de parlementaires ayant en tête les échéances électorales à venir. Le gouvernement a répondu à ces protestations par une polyphonie rapidement devenue cacophonie, les autorités publiques prenant la parole pour annoncer des adaptations aux mesures de fermeté en venant à se contredire. L’embardée politique brutale s’est donc muée en sortie de route communicationnelle, et la mesure a, sans surprise, terminé dans le décor : son retrait, plus ou moins bien habillé, a finalement été annoncé après quelques jours de grand flottement.
Entre l’idéal d’un gouvernement qui porte un seul et même message, et le réel d’un Etat qui peut tâtonner, s’empêtrer et se contredire, l’écart est donc bien réel. Sur des sujets comme la sécurité routière, il importe pourtant d’avoir la communication la plus claire et la plus constante possible, celle-ci étant le complément logique de politiques publiques consolidées et mises en œuvre dans un souci de continuité. En effet, pour changer les comportements (en matière de santé publique, de pratiques culturelles, de comportements sur la route…), l’Etat doit privilégier la constance du message qu’il porte et la cohérence de celui-ci avec le fond des mesures. Cette constance va de pair avec une notable dépolitisation, qui permet d’ancrer la communication dans le long terme en la préservant des polémiques purement politiques. La sécurité routière en est d’ailleurs un exemple frappant : la communication gouvernementale depuis 40 ans a largement été inspirée par les mêmes principes, quelle que soit l’appartenance partisane des gouvernements. Le consensus autour d’une vigilance régulièrement accrue ne peut par ailleurs s’obtenir qu’au travers d’un travail de
concertation systématique, qui exclut que l’effet d’annonce soit prioritaire sur le fond de la mesure. La communication doit alors inciter au changement, y préparer durablement l’opinion publique pour l’amener à modifier ses pratiques. Ce travail de longue haleine fait, en quelque sorte, écho au mot de Michel Crozier, selon qui « on ne réforme pas la société par décret ».
L’efficacité d’une communication visant à modifier des comportements proscrit donc par définition la recherche du buzz et, au-delà, le « coup » politique. Elle est même aux antipodes de cette recherche de l’effet d’annonce.