
Stratégie d’influence : pour en finir avec le mythe du « tout mesurer »
Aujourd’hui, chaque clic est tracé, on n’arrive plus sur une page par hasard. Les entreprises l’ont bien compris. Elles ont tendance à vouloir rapprocher leurs stratégies de communication corporate et d’influence de leurs pratiques marketing. La traçabilité du sacro-saint « parcours client » et la collecte exhaustive des données générées les amènent à faire converger leurs pratiques et les outils à leur disposition. Pour des sujets qui sont tout autre et parfois même fondamentalement différents.
Les annonceurs sont certes en mesure de savoir combien de personnes ont été exposées à leur contenu, mais aussi combien ont cliqué, l’ont partagé, commenté, regardé (et pendant combien de temps), donnant ainsi à la collecte de données un rôle tout à fait prépondérant dans la construction des campagnes suivantes. D’un indicateur théorique global, la mesure d’audience est passée à un algorithme de prédication de succès. Cela signifie-t-il pour autant que la résultante mathématique de cette équation devient le seul et empirique indicateur de succès ? Rien n’est moins sûr.
Stratégie marketing et stratégie D’INFLUENCE ne répondent en effet pas toujours aux mêmes objectifs.
Si dans les deux cas, l’intérêt suscité vis à vis de l’entreprise ou de la marque est l’enjeu majeur, la mesure de son succès diffère parfois. Pour une offre promotionnelle par exemple, la simple mesure du nombre de vues d’une publicité peut répondre à l’objectif fixé en amont de la campagne. Pour un enjeu d’image et donc, d’influence, la mesure du succès de la communication peut et doit être plus subtile. L’exemple récent de Nutella et Intermarché en est une parfaite illustration. La campagne s’est révélée efficace, d’un point de vue quantitatif, au delà même de toutes espérances pour le distributeur, mais néfaste pour sa réputation et il en va de même de celle du groupe Ferrero, du propre aveu de son porte parole sur le territoire français.
L’action marketing est souvent une action à court terme, un « coup ».
Elle a un début et une fin, un objectif commercial et un résultat tangible immédiatement. La stratégie d’influence, ne peut quant à elle être mesurée que sur un temps plus long, en renforçant les constats issus d’indicateurs quantitatifs par une analyse plus qualitative. Qui aurait pu par exemple prédire, à l’heure de l’échec commercial du Newton Message Pad d’Apple en 1993 (et de sa campagne de communication de lancement) que la firme de Cupertino serait aujourd’hui l’entreprise la plus admirée du monde ?
Pour autant, les ponts entre les outils applicables et appliqués aux campagne marketing et campagnes d’influence sont de plus en plus fréquents. La frontière entre indicateurs quantitatifs et qualitatifs est ainsi de plus en plus ténue. En créant des reactions (à la place du like), Facebook a apporté une grille de lecture supplémentaire aux perceptions des publications en ligne. Les marques peuvent ainsi étudier le nombre de réactions (constat purement quantitatif) mais aussi la qualité des réactions suscitées (« aime », « colère », « adore », « rit aux éclats », « triste » ou « étonné »), apportant par ce nouvel indicateur une dimension plus qualitative à la donnée collectée. Les logiciels d’analyse sémantique progressent à vitesse grand V et devraient rapidement proposer des solutions efficaces notamment pour les contenus partagés sur internet. Le changement d’algorithmes de Facebook, favorisant l’apparition sur la « timeline » d’un profil des contenus similaires à ceux déjà appréciés par le profil en question, est la preuve que le modèle du tout quantitatif (qui favorisait, lui, l’apparition des contenus les plus appréciés en général) a vécu. Il s’adapte aux contraintes et aux opportunités que les évolutions technologiques et le traitement des données apportent.
Les communicants, eux aussi, sont amenés à s’adapter pour savoir nuancer la mesure du succès en fonction de la typologie de campagne. Comme pour tout progrès, l’analyse des données et l’exhaustivité des indicateurs offrent de nombreuses possibilités mais ne peuvent pas, ne doivent pas, définir un nouvel usage. C’est à l’usage d’en inspirer les variantes et les opportunités. En communication, champ propice à la complexité humaine et à la subtilité, sans doute encore plus qu’ailleurs.
Dans le domaine de l’analyse de l’image de marque et de l’influence, la vérité d’un chiffre ne peut se révéler qu’à ceux qui prennent le temps d’en étudier les contours, le contexte, les subtilités. Les algorithmes donnent une vérité, rarement LA vérité. Dans nos métiers, ils ne sauront remplacer le cerveau humain. Le conseil doit avoir le dernier mot et peut seul répondre in fine à la complexité d’une situation de communication qui engage des enjeux sociaux, économiques, politiques, psychologiques et émotionnels.