Vie sentimentale et Corporate governance
Le 1er septembre, Nestlé a annoncé le licenciement avec effet immédiat de son président exécutif, Laurent Freixe, un an, jour pour jour, après sa prise de fonction. Une enquête interne a en effet confirmé une relation amoureuse non déclarée avec une subordonnée directe. Prise à froid, avant même toute révélation externe de ladite relation, cette décision a provoqué une série de commentaires négatifs dans les médias et sur les réseaux sociaux. Dès le lendemain, sur LCI, Ruth Elkrief a consacré son parti pris de 19h40 à une dénonciation en règle de cette immixtion de l’entreprise dans la vie privée de ses salariés. Dans L’Express, Julie de Funès y a vu l’émergence d’un « casier sentimental ». D’autres y ont perçu une atteinte à la liberté individuelle et ont fait remarquer que beaucoup de rencontres sentimentales se font dans le cadre de l’entreprise où les salariés passent la plus large partie de leur temps. L’entreprise pourrait-elle s’arroger le droit de condamner ses employés au célibat ou de juger leurs comportements intimes ? Tous ont fait le rapprochement avec la situation du Président d’Astronomer, acculé à la démission début août, à la suite de la polémique suscitée par la diffusion de vidéos anonymes devenues virales le montrant, dans des postures non équivoques, avec sa DRH à un concert de Coldplay. Et de dénoncer, comme Vincent Lamkin dans une tribune du Figaro, la montée d’un puritanisme corporate hypocrite.
Une vision que nous ne partageons pas : le sujet relève de l’intime mais il est aussi au cœur de la gouvernance de l’entreprise. La décision de Nestlé nous paraît non seulement justifiée mais nécessaire car la relation intervient dans le cadre d’un rapport hiérarchique, qu’elle implique le président du groupe et que sa persistance aurait créé des risques réputationnels durables.
Relation intime et rapport hiérarchique
La radicalité de la décision s’explique d’abord par le refus de principe de relation intime avec un(e) subordonné(e) direct(e), une situation où la question du consentement devient un risque majeur et où le fonctionnement des équipes concernées peut être perturbé, voire durablement affecté. Dans une organisation, l’intime devient un enjeu collectif dès lors qu’il touche au rapport hiérarchique. Ce n’est pas une question morale, mais une question de transparence et de cohérence. Dans leur code de conduite ou d’éthique, des entreprises ont édicté une obligation de transparence dans de tels cas, qui doit permettre à la hiérarchie d’évaluer les risques et de proposer le cas échéant, une mutation à l’un ou l’autre des salariés concernés. La relation n’est pas en soi une faute, ce qui l’est, c’est de la laisser perdurer sans la déclarer et remédier à ses conséquences pour le fonctionnement de l’entreprise.
Crédibilité du dirigeant
Cette exigence de transparence se justifie encore plus quand il s’agit du président du groupe. En tant que représentant de l’entreprise, il doit en incarner les valeurs et en respecter les règles avec une vigilance de tous les instants. Il est un élément essentiel de son image qu’il doit défendre et promouvoir. Tout écart de sa part constitue un risque réputationnel potentiel. Détenteur de l’autorité la plus étendue, décideur final sur de multiples sujets, petits et grands, il ne doit pas se mettre dans une situation où son objectivité peut être questionnée. Comment assurer un fonctionnement harmonieux et efficace d’un Comex dans une telle situation ? En outre, comme c’est, selon nos informations, le cas chez Nestlé, si une règle est explicitement édictée sur ce sujet, il se doit impérativement de la respecter.
Risques réputationnels durables
En choisissant de démettre son Président, le groupe savait certainement qu’il allait déclencher une polémique. Le fait qu’il ait lui-même récemment été accusé de manque de transparence dans certaines de ses activités a créé un terreau propice à l’ironie et à la viralité, largement exploité sur les réseaux sociaux et dans les médias. Mais la polémique aurait sans doute été plus violente et dévastatrice pour l’entreprise si la situation avait duré et avait été révélée par des indiscrétions, des vidéos clandestines ou des enquêtes journalistiques. A la mise en cause du Président se serait vraisemblablement ajoutée celle du groupe, à qui son inaction aurait été reprochée.
Même si les modalités de sa décision et de son annonce peuvent être discutées, Nestlé n’avait, de notre point de vue, par d’autre choix que de mettre un terme aux fonctions de son président et de rappeler ainsi que la première obligation d’un dirigeant est d’être exemplaire.
Eric GIUILY
Président de CLAI
Alae TAYBI
Consultante confirmée