Covid 19 et communication gouvernementale : le rendez-vous manqué de la confiance
Si d’après Harris interactiv et Odoxa (sondages du 1/04), ils sont sept Français sur dix à approuver les mesures annoncées par Emmanuel Macron le 31 mars, plus de la moitié (56 %) les jugent insuffisantes et sont convaincus qu’elles devront être appliquées au-delà du 15 mai. Il est vrai qu’en même temps, une moitié d’entre eux (pas forcément les mêmes), dont six jeunes sur dix, envisagent de les transgresser. Ces résultats sont confirmés par ceux publiés par le Journal du Dimanche le 4 avril, qui témoignent du doute profond des citoyens sur la capacité du Gouvernement à maîtriser la pandémie : 35 % des personnes interrogées seulement l’estiment capables de lutter contre le coronavirus et 42 % de mener à bien la campagne de vaccination (IFOP-JDD du 1/04). Pourtant, l’exécutif ne ménage pas sa peine et communique en permanence. Pendant la semaine du 22 mars, le chef de l’Etat est intervenu publiquement trois fois sur le sujet, le Premier ministre, le ministre de la Santé et celui de l’éducation nationale ont multiplié les visites et prises de parole. Et ils ont redoublé d’efforts après l’intervention du Président le 31 mars. Les campagnes publicitaires de l’Etat envahissent les ondes et les écrans. Rien n’y fait pour l’instant, ce qui conduit à s’interroger sur les causes de cet échec de la stratégie gouvernementale de communication.
Avant d’analyser celles-ci, il est indispensable de rappeler une vérité d’évidence : l’adhésion des Français serait certainement plus élevée si les résultats obtenus dans la lutte contre le virus étaient meilleurs. Or à fin mars, la France enregistre chaque jour plus de 300 décès imputés à la Covid contre 50 au Royaume-Uni, 230 en Allemagne et 80 en Espagne. Et nos 8,5 millions de doses injectées font encore pâle figure par rapport aux 35 millions annoncées par Londres, et même aux près de 14 millions affichées par Berlin et 10,5 par Rome. S’il est vrai que la communication ne peut régler les crises, dont la solution dépend de la qualité des mesures opérationnelles et de l’efficacité de leur mise en œuvre, elle a pour rôle de les expliquer, de les accompagner, aussi contraignantes soient-elle, et par là-même d’en renforcer l’acceptabilité. Force est de constater que tel n’est pas le cas en l’occurrence. Soucieux du moral et de la santé psychique de la population, le Gouvernement a commis, à notre avis, trois séries d’erreurs qui minent fortement la confiance dans sa parole : une répétition rapprochée d’annonces à objectifs sans cesse modifiés, des actions décalées et enfin la persistance de non-dits, le tout éclipsant partiellement la gravité de la situation et par là-même atténuant la mobilisation contre l’épidémie.
Une répétition rapprochée d’annonces à objectifs sans cesse modifiés.
S’agissant de la vaccination, la série des annonces commence le 3 décembre. En conférence de presse, le Premier ministre Jean Castex indique que quinze millions de personnes seront vaccinées d’ici fin mars, soit un rythme moyen de cinq millions par mois, à partir de janvier. Quelques semaines plus tard, le 21 janvier, Olivier Véran, ministre de la Santé, détaille un calendrier au terme duquel, fin août, soixante-dix millions de vaccinations auront été effectuées dont neuf millions seulement à fin mars. Il est vrai qu’entretemps, moins d’un million de vaccins avaient été administrés. Une semaine après, le même Ministre revoit ses objectifs à la baisse : quatre millions (au lieu de neuf) d’injections à fin mars et quinze à fin juin pour trente annoncées une semaine plus tôt.
Mais le 2 février le Président de la République déclare que « d’ici à la fin de l’été, nous aurons proposé, en France, à tous les Français adultes qui le souhaitent, un vaccin ». On parle alors de cinquante-deux millions de vaccinations à fin août (contre les soixante-dix annoncées fin janvier) et on revient aux 10 millions à fin mars. La conférence de presse du 4 mars de Jean Castex rebat une énième fois les cartes : retour aux objectifs du 21 janvier. Le gouvernement compte à nouveau que soit administrée une première dose à au moins trente millions de personnes « d’ici l’été », soit avant la fin juin et non plus quinze. Un objectif de moyen terme réaffirmé par le Président le 31 mars mais le cap des 10 millions ne sera atteint que mi-avril, indique-il.
On pourrait faire le même constat à propos de l’objectif de desserrement des contraintes et de retour à une vie plus normale : annoncé pour le 20 janvier, le 24 novembre lors de la mise en œuvre du deuxième confinement, il est reporté au 15 avril par une déclaration du Président le 1er mars et au 15 mai lors de l’allocution du 31 mars. Et l’on a vu que les Français doutent de la fiabilité de cette dernière prévision. En modifiant ainsi régulièrement ses objectifs, sans le dire explicitement, et en présentant chaque annonce, quel qu’en soit le contenu, comme un progrès et un facteur d’optimisme, sans pour autant reconnaître la moindre erreur, le Gouvernement a pris le risque d’être de moins en moins audible et crédible.
Des actions décalées
Si Emmanuel Macron a pu se féliciter à juste titre que 90 % des résidents des EHPAD soient vaccinés, il n’en reste pas moins que seulement 40 % des plus de 75 ans ont reçu une première dose. Et il suffit d’essayer d’obtenir un rendez-vous sur Doctolib ou directement via les centres de vaccination, pour mesurer que l’accès au précieux vaccin est tout sauf fluide. Le questionnaire de la célèbre application ne reflétait d’ailleurs toujours pas le 1er avril les nouvelles règles d’accès à la vaccination, annoncées depuis déjà quelques semaines. Dans ce contexte, est-il judicieux de déployer une campagne télévisée émotionnelle, sur fond d’une très belle chanson de Gilbert Bécaud, pour inciter à la vaccination ? De même, le Président de la République a-t-il raison d’indiquer publiquement dès la semaine dernière que la principale difficulté va être de convaincre les récalcitrants de se faire vacciner alors que la très grande majorité de ceux qui le voudraient n’y arrivent pas ou n’y ont pas droit. A trop anticiper, on court le risque de paraître décalé, voire hors sol, et on conforte l’image d’un pouvoir loin des réalités et technocratique, pour ne pas dire arrogant.
Des non-dits persistants.
Chaque jour, plus de 300 personnes meurent en France du fait de la Covid. Soit en une semaine et demie, plus de morts qu’en un an d’accidents de voiture, dont la réduction du nombre est pourtant une cause nationale. Ou l’équivalent du « crash » d’un avion moyen-courrier qui ferait la une des journaux de 20h. Ce qui fait de la France un des pays européens (avec l’Italie) à la mortalité la plus élevée en proportion de sa population. Or par une sorte d’accord tacite, plus personne ne parle de ce triste record, contrairement à ce qui se passait lors du premier confinement. Dans les indicateurs chiffrés de retour à la normale définis le 24 novembre figurent le nombre de nouveaux cas détectés chaque jour (pas plus de 5 000) et le nombre de lits de réanimation occupés par des malades de la Covid (pas plus de 3 000), pas celui des morts.
De même, on débat beaucoup du risque pour les médecins d’avoir à faire un « tri » entre les malades à hospitaliser si la contagion n’est pas ralentie, sans souligner qu’on opère déjà un premier tri en déprogrammant les opérations et examens liés à d’autres types de maladies. Avec des conséquences sans doute moins directes et moins visibles mais réelles, comme l’a rappelé à de multiples reprises Axel Kahn, le Président de la Ligue contre le cancer.
En choisissant de ne pas dramatiser et d’avoir une communication aussi positive que possible vu les circonstances, par souci du moral des Français et de leur santé psychologique comme pour des raisons politiques évidentes, le Gouvernement se prive sans doute d’un facteur clé de succès de la lutte contre le virus : la conscience de la gravité de la situation qui seule peut conduire à un respect suffisant des mesures sanitaires. Et s’en remet pour stopper l’épidémie au « Général Vaccination » avec tous les aléas que cela comporte, comme on le voit chaque jour davantage.