
Maîtrise du temps et communication pour l’élection présidentielle

La maîtrise du temps et donc de la communication a toujours été un élément clé du succès en politique. D’abord, savoir prendre le temps de se construire un parcours (d’élu local jusqu’aux plus hautes fonctions ou pour certains privilégiés en sens inverse). Ensuite, savoir gérer le temps et ses prises de parole, notamment dans l’exercice du pouvoir présidentiel, impératif catégorique théorisé par Jacques Pilhan dans les années 90 : la fameuse « rareté », censée créer le désir, et qui apparaît si oubliée aujourd’hui, depuis l’adoption du quinquennat.
A l’heure de l’information en continu et des réseaux sociaux, comment les différents candidats – déclarés ou putatifs – à l’élection présidentielle de 2017 gèrent-ils le temps et donc leur communication ? Comment faire pour exister sur la scène médiatique sans s’épuiser avant la course finale ? Comment concilier le temps politique et le temps médiatique ?
Des stratégies différentes s’opposent, au sein de la droite comme de la gauche.
A droite, un candidat a fait le choix de la course de fond. Alain Juppé s’est lancé en août 2014, annonçant sa candidature à la surprise générale dans un court billet sur son blog. Alors que adversaires et observateurs pariaient sur un épuisement de l’ancien Premier ministre, ce dernier fait depuis lors la course en tête. François Fillon a fait de même en indiquant dès 2012 qu’il serait candidat et en travaillant ostensiblement depuis lors à son programme et à se forger une stature de présidentiable. Leur principal concurrent, à l’inverse, a décidé d’attendre le dernier moment pour se déclarer. Nicolas Sarkozy avait déjà opté pour une déclaration tardive en 2012, officialisant sa candidature trois mois avant le premier tour de l’élection présidentielle. A l’époque, le temps avait servi d’explication à sa défaite, le président sortant estimant que si la campagne avait duré une ou deux semaines supplémentaires, il l’aurait emporté face à François Hollande (parti, lui, en campagne dès mars 2011).
A gauche, c’est Jean-Luc Mélenchon qui a inauguré le bal des ambitions présidentielles dès le mois de février 2016. Neuf mois plus tard, le voilà en pôle position pour incarner l’alternative à François Hollande, tandis que ses concurrents – Montebourg, Valls, Hamon… – peinent à s’extirper du marasme sondagier. L’absence de certitude sur une éventuelle candidature du président sortant assombrit la situation du parti socialiste. Mais, précisément, François Hollande veut rester maître de son calendrier et semble imperturbable face aux appels du pied de ses soutiens qui l’enjoignent de clarifier au plus tôt ses intentions. Candidat ou non, il n’en dira rien avant la mi-décembre.
Ainsi, pour les uns, le temps (long) est une arme permettant d’installer – d’imposer ? – l’évidence de leur candidature. Tandis que pour les autres, le temps reste encore la meilleure arme face à ce qui apparaît comme une impasse. Contesté de toutes parts, François Hollande est convaincu que le temps travaille pour lui, en permettant d’atténuer les conséquences de ses récentes erreurs de communication, de capitaliser sur l’amélioration du marché de l’emploi et surtout de laisser ses concurrents, déclarés ou pas, s’user face à un édredon pour accréditer l’idée qu’il est la seule solution crédible, fut-elle par défaut.
Face à eux, deux personnalités ont choisi des voies differentes.
D’abord Marine Le Pen, à la fois candidate permanente et candidate fantôme. Depuis le choix du FN de la soutenir en mai 2011, Marine Le Pen ne s’est jamais défait de ses habits de candidate à la présidentielle. Toute son action est entièrement tournée vers cette échéance. Qui se souvient de sa déclaration sur le plateau de TF1 en février 2016 ? Simple formalité pour celle qui, pourtant, se fait de plus en plus discrète à mesure que la campagne se fait bruyante. Le temps, pour Marine Le Pen, n’est pas un sujet. Tout au plus lui faut-elle être patiente dans un contexte où les polémiques et les échecs de la droite et de la gauche rendent inéluctable, à en croire les sondages, sa présence au second tour. Et si ça ne marche pas cette fois-ci, elle conservera ses habits de candidate éternelle pour la campagne suivante… Après tout, elle a le temps pour elle.
Un autre, quant à lui, a longtemps mené campagne tous azimuts sans pour autant être candidat. Emmanuel Macron est-il celui qui fait mentir toutes les règles de bonne conduite de la vie politique ? L’ancien ministre de l’Economie, inconnu du grand public il y a encore deux ans, jamais élu, au passé peu porteur de banquier chez Rothschild dans un pays qui honnit la finance, devance dans les sondages non seulement le président de la République sortant, mais aussi tous ceux qui pourraient prétendre, à gauche, prendre sa relève. Objet médiatique et OVNI politique, Emmanuel Macron défie les lois du temps, en créant en six mois seulement un mouvement politique de 92 000 adhérents revendiqués, désignant des centaines de cadres sur l’ensemble du territoire, lançant une grande opération de porte-à-porte, tenant des meetings bondés… n’en jetez plus ! Mais alors que le temps ne semblait pas avoir de prise sur lui, il a été rattrapé par celles et ceux qui le pressaient d’accélérer, encore , et d’officialiser sa candidature au plus vite. Et le voilà qui l’annonce en choisissant la veille du dernier débat de la primaire de droite et du centre et le jour de la COP22 dont François Hollande espérait profiter pour affirmer sa stature de président et capitaliser sur un de ses grands succès, l’Accord de Paris sur le climat. La manière dont il avait « saboté » la rentrée internationale de François Hollande en septembre dernier par l’annonce de sa démission témoignait déjà de sa capacité à jouer du temps médiatique. Emmanuel Macron serait-il le nouveau stratège du temps ou à tout le moins son maître tacticien ?
A six mois de l’élection présidentielle, tout peut encore bouger et il est trop tôt pour décerner le prix de la gestion du temps. Mais nous aurons un premier élément de réponse le 20 novembre et surtout le 27 avec les résultats de la primaire ! Donnons-nous donc du temps au temps, comme aimait dire François Mitterrand, avant de conclure.