Le débat public sur la répartition des efforts
Scandale des vols en jet privé, controverse sur la taxation des « super profits », mini crise au sein de la majorité sur la procédure à suivre pour faire adopter par le Parlement la réforme des retraites, depuis la rentrée, les débats s’enchaînent autour d’une seule et même question de fond : comment répartir entre les privilégiés, les entreprises et les citoyens les efforts indispensables tant pour lutter contre le réchauffement climatique que pour ralentir la dégradation des finances publiques. Face à cette question centrale qui interpelle toutes les politiques publiques et offre aux oppositions un angle d’attaque sans cesse renouvelé contre le gouvernement, celui-ci peine à adopter une ligne politique et une stratégie de communication cohérentes.
Tout commence lors d’une banale conférence de presse du Paris-Saint-Germain. A une critique sur le mode de déplacement de la célèbre équipe parisienne, à peine revenue d’un match à Nantes, son entraîneur, Christophe Galtier, répond, hilare : « ce matin, on a discuté avec la société avec laquelle on fait nos déplacements pour savoir si on ne pouvait pas se déplacer en char à voile ». Le joueur star de l’équipe, Killian Mbappé, qui est à ses côtés, s’écroule de rire. Peu de temps auparavant, une autre vedette du football français, Karim Benzema, avait créé le scandale sur les réseaux sociaux en y affichant ses différents jets privés, voitures de course et autres jets-ski.
Le gouvernement manifeste son mécontentement en convoquant les dirigeants du club et en obtenant d’eux une déclaration sur leur intention d’être plus « sobres » à l’avenir puis une repentance publique de l’entraîneur au détour d’une interview. Le débat n’en est pas moins lancé et enflamme les réseaux sociaux. A l’heure où on demande aux Français « de mettre des cols roulés » pour passer l’hiver à 19°c ou d’éteindre la Wifi avant de se coucher, la consommation de CO2 des plus riches crée la polémique. En témoigne l’initiative d’internautes qui se lancent dans le recensement des vols privés des grands patrons français, comme Vincent Bolloré, Martin Bouygues ou Bernard Arnault à travers le compte « I fly Bernard ».
Le relais est rapidement pris par un débat plus polémique encore, celui sur la taxation des super profits, réalisés par certaines entreprises dont les résultats s’envolent grâce aux déséquilibres et pénuries créés par les crises successives, géants du transport maritime et de l’énergie notamment. Une bonne occasion pour l’exécutif de marquer la diversité de ses sensibilités : adepte des punch lines, Bruno Le Maire déclare, devant les patrons réunis à Longchamp, qu’il ne sait pas « ce qu’est un super profit », Elisabeth Borne répète à plusieurs reprises qu’elle n’exclut rien et le Président de la République répond que le problème doit être réglé au niveau européen. Ce qui va être fait mais n’empêchera pas le sujet d’être un des thèmes majeurs du débat budgétaire des prochaines semaines, les oppositions jugeant les propositions de la Commission trop timides.
Dans l’intervalle, le Président de la République a ouvert un autre front en indiquant, en marge d’une réunion avec la presse présidentielle, que la réforme des retraites pourrait être soumise dès octobre au Parlement via des amendements au projet de loi sur le financement de la Sécurité sociale, confirmant ainsi les confidences distillées par son entourage tout au long de l’été. Mais au moment même où il installe le Conseil National de la Refondation, dont il confie la responsabilité à son principal allié politique, François Bayrou. Colère de celui-ci qui refuse un passage en force et annule sa participation au meeting de lancement du nouveau parti présidentiel samedi 24 septembre, avant d’enchaîner le lendemain par un plan média de qualité, Grand Rendez-vous d’Europe1 et interview au Parisien. Même réaction des organisations syndicales, y compris les plus ouvertes au dialogue, et désaveu discret du patronat français qui ne voit décidément pas l’urgence de cette réforme. Il faudra un dîner à l’Elysée des principaux membres du gouvernement et de la majorité présidentielle, pour que la Première ministre puisse annoncer dans la nuit à l’AFP qu’un projet de loi sera déposé en janvier après 3 mois de concertation et voté avant l’été, sur la base des propositions du Président de la République lors de la campagne présidentielle : âge légal porté à 65 ans, suppressions des régimes spéciaux et retraite plancher mensuelle de 1100 €.
Une concertation et un débat parlementaire qui s’annoncent difficiles pour ne pas dire périlleux, surtout si c’est la voie d’une loi ordinaire qui est adoptée et non celle d’un projet de loi rectificatif sur le financement de la Sécurité Sociale.
En justifiant l’urgence de la réforme par la nécessité de financer certaines politiques publiques comme la dépendance, l’exécutif relance la discussion sur le partage des efforts : pourquoi en faire porter le poids sur les seuls actifs et laisser à l’écart de la solidarité nationale les privilégiés, les retraités et les entreprises ? Il affaiblit aussi l’argument le plus à même de convaincre l’opinion publique : la nécessité d’assurer la pérennité du système de retraite lui-même. Enfin, en préférant, pour des raisons symboliques, mais aussi financières, le recul de l’âge légal à un allongement de la durée de cotisation, le gouvernement privilégie l’affrontement politique à la voie pragmatique, sauf à vouloir se réserver la possibilité de faire une concession (en apparence) majeure aux partenaires sociaux à l’issue de la concertation.
En tout état de cause, ces trois débats presque concomitants montrent que l’exécutif ne pourra passer les deux échéances majeures que sont le budget 2023 et la réforme des retraites que s’il explicite sa stratégie de répartition des efforts et en fait la pédagogie active. Telle devrait être la priorité de sa communication dans les prochaines semaines !