
Le paradoxe de la marque OM

Une nuit de mai 1993, un coup de tête rageur de Basile Boli offre à l’OM et au football français son unique victoire en Ligue des champions. Les supporters du club ne s’en sont pas tout à fait remis, et en ont gardé un mot d’ordre, « à jamais les premiers », juste avant que le scandale de corruption OM-Valenciennes ne précipite la chute du club et sa relégation en 2e division. Malgré une dernière décennie peu brillante, il reste à l’Olympique de Marseille l’un des plus importants palmarès du football français (neuf titres de champion de France, dix coupes de France), un public fervent et une marque populaire dans toute la France et l’Europe.
Alors que la vente de l’OM est aujourd’hui presque bouclée, force est pourtant de constater que les candidats au rachat ne se sont pas bousculés au portillon du Vélodrome. Comment se fait-il qu’une si belle marque suscite aussi peu de convoitises ?
Aux fondations de la marque OM : la stratégie des « frères ennemis »
Avant les années 80 et l’arrivée de Bernard Tapie à la tête du club, la légende de l’OM n’existe pas encore, et les mythes du football français se trouvent plus au Nord. Les années 50 ont été celles du stade de Reims de Raymond Kopa, les années 60 celles des « Canaries », les années 70 celles des « Verts » de Saint-Etienne. Lorsque Tapie prend le pouvoir en 1986, il décide que la dernière décennie du siècle sera marseillaise. Et il met les moyens : des entraineurs de prestige (le « Kaiser » Beckenbauer, Raymond Goethals), des joueurs qui deviendront des légendes (le futur ballon d’or Jean-Pierre Papin, Didier Deschamps, Eric Cantona…..), et les résultats suivent.
Mais on ne crée pas un mythe avec de seuls bons résultats sportifs. Il lui faut des aspérités à franchir, des obstacles à renverser, un ennemi à abattre. Tout comme Etéocle n’est rien sans Polynice, Luke Skywalker sans Dark Vador, l’OM n’est rien sans un adversaire à sa mesure. Il faut une rivalité ? Qu’à cela ne tienne ! Le frère ennemi sera le PSG, qui est un club encore bien jeune, et au palmarès encore mince. A coup de déclarations tapageuses en conférence de presse, de tacles assassins sur la pelouse et de coups pendables dans les vestiaires, une histoire est créée de toutes pièces, qui mêle David Ginola à Clara Morgane, Eric di Meco à Michel Denisot. Et quel résultat ! Avant 1991, l’annonce d’un match PSG-OM ne soulevait guère de passion. Désormais, chaque classico crée l’événement. Et les résultats sportifs de l’OM, qui l’emporte nettement sur le trop jeune PSG, sont à la hauteur – jusqu’à ce que tout l’édifice s’écroule, lorsqu’un joueur valenciennois révèle que les largesses du président Tapie s’étendaient aux joueurs des équipes qu’affrontait l’OM…
L’OM, marque sous-exploitée, marque inexploitable ?
Le purgatoire du club en seconde division n’y changera toutefois rien. La greffe a pris, une ferveur populaire inégalée s’est levée, qui ne se limite pas à Marseille, ni à la Provence et est prêt à s’étendre de l’Europe à l’Afrique et au reste du monde. Le potentiel de la marque OM est donc inestimable ; son image de club bouillonnant, populaire, revanchard, chaleureux et un peu canaille ne demande qu’à se développer, d’autant qu’en matière de de communication, le PSG fait désormais la course en tête grâce au soutien du Qatar. Mais là où le PSG a été valorisé 100 millions lors de sa cession au Qatar, l’OM en vaut aujourd’hui moitié moins… Certes, Marseille n’est pas Paris, et l’OM ne bénéficie pas de l’aura internationale dont bénéficie son principal concurrent, ni de la Tour Eiffel stylisée sur les maillots rouge et bleu du PSG. Mais cela n’explique pas tout.
Car pour un acheteur, si la marque est essentielle, d’autres paramètres entrent en compte : les relations avec les parties prenantes le sont tout autant. Or l’OM, en raison justement de la ferveur qui l’accompagne, est souvent l’otage des différentes entités qui l’entourent et l’accompagnent, du plus avouable (la ville), au plus bruyant (les supporters ultras) en passant par les moins recommandables (le « milieu » marseillais). Les principaux dirigeants précédents l’ont appris à leur dépens, qui ont toujours dû négocier avec la mairie, en particulier sur la question du stade Vélodrome, qui ont subi l’ire, les insultes et les menaces physiques de groupes de supporters trop agités, et ont payé de multiples gardes à vue leurs relations troubles avec des intermédiaires peu recommandables.
Preuve ultime de la main-mise des parties prenantes locales : un des candidats à la reprise du club a d’ailleurs tenté de jouer la carte des supporters contre l’ancienne direction, annonçant que, si son offre était acceptée, il ramènerait dans ses valises un entraîneur vénéré par les supporters et une flopée de joueurs stars. Si l’annonce n’a pas réussi à convaincre Margarita Louis-Dreyfus, elle contribue à savonner la planche du repreneur effectif, un américain plus businessman que supporter à la proposition sans doute moins enthousiasmante pour le public du Vélodrome,… mais plus sérieuse pour son revendeur. Ce nouveau propriétaire n’ignore pas la valeur du club qu’il vient d’acquérir, mais il sait que son état de grâce sera de courte durée… Comme le lui a sans détour annoncé Jean-Claude Gaudin lors d’une conférence de presse surréaliste, il va lui falloir mettre rapidement de l’argent sur la table pour rivaliser avec les dollars qataris et les stars du PSG. Avec le risque que si les résultats ne suivent pas, les supporters se retournent, une fois de plus, contre la direction qui n’exauce pas leurs ambitions, et que la révolte gronde, une fois de plus, dans les travées du Vélodrome.
L’OM et sa marque légendaire constituent un pari plus que séduisant en termes d’image. Mais face à un réel risque financier, à la versatilité d’un public peu indulgent lorsqu’il est confronté à de mauvais résultats sportifs, sans oublier d’éventuels fâcheux ennuis judiciaires, le jeu en vaut-il la chandelle ? Au futur nouveau propriétaire de le démontrer !
Constance Descotes et Simon Lozac’h