L’évolution de la communication des grandes entreprises pétrolières et gazières face à la transition énergétique : de la « stratégie du doute » aux doutes sur leur stratégie
Depuis plusieurs décennies, les géants de l’industrie pétrolière ont occupé une position centrale dans l’économie mondiale, répondant à notre insatiable demande en énergie. Toutefois, l’émergence des préoccupations liées au changement climatique a remis en question la légitimité de cette industrie et a révélé son impact sur notre planète. Dans ce contexte, les grandes entreprises pétrolières ont dû adapter leur communication avec pour objectif de restaurer leur image et ainsi rester attractives et influentes. Sans pour autant convaincre.
L’abandon de la « stratégie du doute »
Pendant des décennies, les grandes entreprises pétrolières et gazières ont employé une stratégie de communication fondée sur le scepticisme et, pour aller plus loin et citer leurs détracteurs, sur la « dissimulation », niant souvent l’existence même du changement climatique ou minimisant le rôle des activités pétrolières et gazières dans celui-ci. Cette tactique, souvent qualifiée par les observateurs de « stratégie du doute », leur a permis de continuer à se développer malgré les preuves scientifiques de plus en plus précises du changement climatique. Or, ce « doute » n’est aujourd’hui plus permis : lors du forum de Davos en janvier 2023, le secrétaire général des Nations unies a fermement condamné cette approche, en soulignant que depuis les années 1970, les entreprises pétrolières et gazières étaient conscientes de la contribution significative des énergies fossiles au réchauffement climatique.
Ces entreprises n’avaient cependant pas attendu cette affirmation pour faire évoluer leur communication. Depuis plusieurs années, elles mettent en avant leurs engagements en faveur de la transition énergétique et leurs investissements dans les énergies renouvelables : des géants du secteur comme Total Energies, Engie, ExxonMobil, ENI ou BP ont annoncé des objectifs de neutralité carbone d’ici 2050 et communiquent sur le développement des énergies décarbonées, n’hésitant pas, pour être plus crédibles, à changer d’identité graphique, voire de nom.
La persistance du reproche de « greenwashing»
Cette posture de « communication verte et engagée » adoptée par les grands acteurs du secteur peut cependant cacher une réalité moins positive, masquant des actions parfois néfastes pour l’environnement (exploitation de « bombes carbones », construction d’infrastructures, respect de la biodiversité…). Ainsi Exxon et Chevron ont annoncé en septembre 2023 un investissement respectif de 53 milliards et 60 milliards de dollars dans l’exploitation des hydrocarbures, cependant que Total Energies poursuit contre vents et marées la construction d’un pipe-line très controversé en Ouganda.
L’ambivalence des acteurs pétroliers, mais pas seulement de ceux-ci, est bien comprise par les Français : peu enclins à adhérer aux discours qualifiés de « greenwashing » des entreprises, 49% placent leur confiance dans l’Etat plutôt que dans les entreprises (34%) pour résoudre le problème du changement climatique
Parallèlement, après des décennies à attaquer frontalement Total Energies, BP ou Shell, les associations de protection de l’environnement se tournent aujourd’hui, au nom du « devoir de vigilance », vers des entreprises beaucoup plus sensibles à leur image : les banques, investisseurs et compagnies d’assurances.
Ainsi, BNP Paribas, financeur du dernier projet de pipeline de Total en Afrique, vient d’être assignée en justice par trois ONG – Les Amis de la Terre France, Oxfam France et Notre affaire à tous – pour faire reconnaître la responsabilité de la banque dans les conséquences sur le climat de ce projet. Une attaque indirecte avec l’espoir que la pression de la justice sur leurs financeurs contraindra les pétroliers et gaziers à changer de modèle économique. Avec le même objectif, un groupe d’élèves et anciens élèves de grandes écoles viennent de proclamer leur refus de travailler pour BNP Paribas et les banques qui financent les projets pétroliers. Il y’a un an, c’est Total Energies qui avait fait l’objet d’une initiative identique.
« Malgré des années de communication, nous avons une mauvaise image », avait constaté, désabusé, Christophe de Margerie, l’ancien président de Total. Preuve que si la communication corporate peut accompagner, crédibiliser et faciliter une évolution du modèle économique d’une entreprise, elle est impuissante à masquer une absence de transformation.
Eric Giuily
Président de CLAI
avec l’aide de Valentine Busnel, consultante senior, et Jean Cammarata, consultant junior.