L’interview du président de la République au JT de 13H : un nouveau symptôme de la segmentation de la vie politique
Après l’adoption du projet de loi sur les retraites, consécutif au rejet des motions de censure, Emmanuel Macron s’est adressé aux Français, mercredi 22 mars, à l’occasion d’une interview conjointe pour TF1 et France 2, lors du JT de 13h. Un horaire inhabituel largement commenté avec, de la part de l’entourage du président, une volonté de viser « les territoires » et la mise en avant des contraintes de l’agenda du Président au cours des prochaines semaines, et, du côté des opposants, la critique d’une exclusion d’un grand nombre de Français.
D’autres justifications pouvaient expliquer ce choix, comme le souhait d’éviter un embrasement dans la rue en fin de journée ou la volonté de se confronter à deux journalistes peu coutumiers de l’exercice (ils ont d’ailleurs semblé tendus durant l’entretien) et jugés moins pugnaces que leurs collègues de 20h. On se souvient d’ailleurs qu’Anne-Sophie Lapix, la présentatrice du 20H de France 2 avait été écartée du débat de l’entre-deux-tours par le candidat Emmanuel Macron.
Si cette intervention a été relativement bien suivie, avec seulement 1,1 million de 26-49 ans sur 11,5 millions de téléspectateurs au total, Emmanuel Macron a de fait exclu une part significative des actifs, au profit notamment des populations âgées et retraitées qui constituent majoritairement le public des journaux télévisés de la mi-journée, dont l’âge moyen tourne autour de 60 ans pour TF1 comme pour France 2.
Ce choix constitue un nouveau symptôme de la segmentation de la vie politique, une dynamique qui s’illustre par des forces politiques qui ne s’adressent plus qu’à leur électorat et qui est renforcée par les fameuses « bulles de filtre » des réseaux sociaux qui empêchent de se confronter à d’autres points de vue.
Si, en 2017, Emmanuel Macron avait fait du « En même temps » sa boussole politique, en ressuscitant la figure du parti « attrape-tout », l’élection présidentielle de 2022 a consacré la dynamique inverse. Les seniors ont constitué la base de l’électorat macroniste : 59 % des électeurs âgés de 60-69 ans et 71 % des 70 ans et plus ont voté pour Emmanuel Macron. Une base fidèle et mobilisée, moins touchée par l’abstention.
C’est d’abord à cette base que s’adressait la réforme des retraites, pour consolider le socle électoral de Renaissance, les seniors étant la seule catégorie de la population favorable à l’allongement de la durée de cotisation. Mais le président de la République et son gouvernement ne sont jamais parvenus à convaincre le reste des Français de la nécessité de cette réforme. C’est d’ailleurs le seul regret exprimé par le président pendant l’interview.
Un narratif à géométrie variable sur les raisons de cette réforme, aggravé par les contradictions et approximations techniques de la Première ministre et de ses ministres lors des débats, a donné l’impression que le gouvernement ne maîtrisait pas sa réforme, voire dans le pire des cas entretenait volontairement une certaine confusion autour des points clés.
A cela s’ajoute le fait que le gouvernement s’est lui-même piégé en répétant de manière constante sa volonté de privilégier le vote du texte par l’Assemblée nationale plutôt que d’utiliser l’article 49.3 pour faire adopter la réforme. La Première ministre et son gouvernement se sont ainsi lancés dans une course aux voix qui s’est terminée par un nouvel échec, avec l’utilisation en dernier recours du 49.3. En procédant de la sorte, le gouvernement a donné l’impression de ne pas vouloir faire face à l’obstacle et de se dérober. Il a ainsi réveillé les colères et aggravé la tension sociale, notamment chez les jeunes.
Dans ce contexte, comment appréhender la suite du quinquennat ? Durant son interview, Emmanuel Macron a esquissé quelques pistes avec la volonté de trouver des majorités de projet autour d’un certain nombre de réformes « segmentées », par exemple sur l’immigration, en découpant les textes à l’image de ce qui avait été réalisé pour l’énergie (un texte sur le nucléaire soutenu par Les Républicains et le Rassemblement National, un autre texte sur les énergies renouvelables, largement soutenu par la gauche). Il s’agit en fait de la seule marge de manœuvre encore offerte au président, qui doit composer avec une majorité relative depuis le début de son second mandat. Encore faudra-t-il pour cela que le climat social s’apaise, soit parce que le Conseil Constitutionnel aura censuré la loi, ce qui est peu probable pour ses principales dispositions (âge et durée de cotisation), soit par résignation une fois la loi promulguée, avec d’ici là le risque d’un accroissement des manifestations sauvages et des violences et un gouvernement très largement paralysé dans son action..