Orange sous pression
En 1978, Norbert Ségart, en sa qualité de secrétaire d’Etat aux Postes et télécommunications, signe un protocole avec le ministère de la Santé afin d’attribuer un numéro d’urgence gratuit, le 15. Depuis, les numéros d’urgences se sont multipliés, jusqu’à parfois provoquer la confusion : pour les pompiers, c’est le 15, 17 ou le 112 ? Sans que toutefois le système faillisse. En tout cas jusqu’au 2 juin 2021, où l’ensemble des numéros d’urgence ont été brusquement inaccessibles. Une panne exceptionnelle qui intervient à moment sensible à plus d’un titre…
Car si le service a été rétabli dès le lendemain, cette panne était une première de son genre et comme l’a clairement signifié Olivier Véran, ministre en charge de la Santé, sur le plateau de BFMTV « il faut que ce soit la dernière ». Un message qui sonne comme un avertissement pour l’entreprise Orange, dont l’Etat est toujours l’actionnaire de référence, soumise à une obligation de résultat, au même titre que d’autres opérateurs, qui n’ont pas attendu pour communiquer le soir même sur Twitter[1], en précisant qu’il s’agissait d’un « incident technique rencontré par un opérateur tiers. »
Une réaction rapide, maîtrisée et précise
Consciente des enjeux qu’encourt la marque, Orange a mobilisé ses têtes d’affiches (Stéphane Richard, le Président, et Fabienne Dulac, la Directrice générale France) autour d’une stratégie de communication efficace, pour répondre rapidement à une crise qui commençait à prendre de l’ampleur médiatiquement.
Ainsi, sur Twitter, l’entreprise a réagi immédiatement en présentant ses excuses et en soulignant la mobilisation des équipes techniques pour remédier à cette panne. S’en est suivi un second tweet, avec les numéros alternatifs mis en en place ainsi que des conseils pour pallier à ce problème technique (renouveler l’appel, essayer depuis un mobile). Le communiqué de presse publié le soir même est à peine plus détaillé, seule nouveauté : l’entreprise y précise le périmètre de la panne « les services de téléphonie fixe dans certaines régions dont certains numéros d’urgence. » La crise, qui semblait nationale, est désormais circonscrite à 11 régions.
Le lendemain, à 10h, l’entreprise fait le point sur la situation et donne des nouvelles rassurantes sur la résolution de l’incident technique. Le communiqué annonce par ailleurs une prise de parole de Stéphane Richard, qui va rencontrer les ministres Gerald Darmanin et Cédric O, dans la matinée.
Au JT de 13h de TF1, Stéphane Richard présente « les excuses d’Orange » aux personnes victimes de ses dysfonctionnements, ainsi qu’à tous les partenaires de ce service, dont il salue la réactivité. Le président assure que la situation est désormais sous contrôle, et veille à expliquer en détail le dysfonctionnement et la mobilisation des équipes pour retrouver « la cause racine », alors inconnue. Sur RTL Soir, le PDG souligne que la situation est désormais « normale ».
Fabienne Dulac, Présidente d’Orange France, y a également mis du sien. Durant la journée, la dirigeante a organisé une conférence téléphonique avec plusieurs médias régionaux pour irriguer le territoire des messages de l’entreprise et réitérer la mobilisation des équipes face à « une crise rarissime ». Le ton est rassurant et pédagogue, malgré la technicité du sujet. Sur Twitter, le 3 juin, la communication est limitée à un seul tweet chacun, il ne s’agit pas de multiplier les prises de parole, mais de maîtriser les messages et les chiffres qui seront relayés. La collaboration avec le Gouvernement est aussi mise en avant, et pour répondre aux pressions de son actionnaire majoritaire, l’entreprise annonce avoir diligenté une enquête interne, qui sera rendue publique dès le 11 juin.
Les suites : la reconquête par l’enquête
Comme promis, Orange a publié les résultats de l’enquête menée par l’Inspection générale du Groupe, à travers un communiqué de presse sobre, technique et factuel. Le groupe y explique en 3 parties l’origine du dysfonctionnement, en rassurant sur la prise en charge du problème.
L’entreprise souligne ensuite la réactivité des équipes techniques dans la partie dédiée aux processus d’alerte. « Une fois l’analyse établie, la résolution s’est effectuée en quelques heures grâce à la mobilisation d’une centaine d’experts.» L’opérateur a également tenu à expliquer les soucis de communication envers ses parties prenantes lors de la crise, en pointant la lenteur des équipes managériales dans la mise en place d’une cellule de crise managériale dédiée
Le communiqué s’achève sur une série de recommandations de l’Inspection générale qui reconnaît l’implication immédiate des équipes techniques mais la nécessité pour l’entreprise d’améliorer sa rapidité de diffusion de l’information vers ses différentes parties prenantes, en réduisant à 30 minutes maximum le délai de déclenchement d’une cellule de crise.
Pour conclure cette dernière prise de parole, Orange présente à nouveau ses excuses à toutes les personnes impactées par le dysfonctionnement, et explique continuer à mener des investigations en lien avec l’Etat pour renforcer les enseignements tirés de cette crise.
Le communiqué a ensuite été publié sur twitter par le compte @presseorange et relayé uniquement sur le compte d’Orange France. Stéphane Richard et Fabienne Dulac ne se sont plus exprimés sur le sujet depuis le 4 juin.
Une crise qui en cache d’autres ?
Faute avouée, à moitié pardonnée ? Loin de là, puisque l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI) a été mandatée par le gouvernement pour piloter un audit formel de contrôle de la sécurité et de l’intégrité du réseau et des services d’Orange. Mais, surtout, compte-tenu de l’intervention d’un certain nombre de décès qui pourraient être liés à la panne, une instruction judiciaire a été engagée qui va certainement durer.
En outre, cette crise a remis à jour plusieurs autres problématiques comme l’état du réseau cuivre dédié au téléphone et à l’ADSL dont Orange est propriétaire, et qui a été jugé déplorable par les autres opérateurs locataires, et par Laure de la Raudière, présidente de l’Arcep, devant la commission sénatoriale de l’aménagement du territoire et du développement durable en mars dernier.
Enfin, pure coïncidence de calendrier, cette crise est intervenue alors que se déroulaient les audiences du procès pénal en appel de B Tapie sur l’arbitrage sur son conflit avec le Crédit Lyonnais, dans lequel Stéphane Richard est poursuivi pour son rôle en tant que directeur de cabinet de la ministre de l’économie.
Il n’en fallait pas plus pour que reviennent les spéculations sur son avenir à la tête du groupe, comme en témoigne la double page qui lui a été consacrée dans L’Obs[2] ouvrant sur une analyse détaillée du bilan du Président et de ses perspectives d’avenir. Pour Stéphane Richard et Orange, la pression n’est donc pas prête de se relâcher et leur maîtrise de la communication de crise sera sans aucun doute à nouveau mise à l’épreuve dans les prochains mois.
[1] Tweets de : Bouygues Telecom & Altice France (SFR)
[2] Boris Manenti. (2021, 17 juin). La grande fatigue du roi d’Orange. L’Obs, N°2955, p.46. [En ligne]