
Des Panama Papers aux Paradise Papers : quand le journalisme passe de l’information à la communication
Les révélations des Paradise Papers sont tombées il y a maintenant presque un mois et force est de constater que ce nouveau scandale d’optimisation fiscale n’a justement pas « scandalisé » les foules. Au point qu’il est légitime de s’interroger sur ce si faible intérêt du grand public et de se demander pourquoi le bad buzz, si facile à déclencher en temps normal, n’a pas pris pour les entreprises concernées.
Rien à se reprocher
L’optimisation fiscale est une pratique qui, si elle peut légitimement être dénoncée, n’en reste pas moins parfaitement légale. Les pratiques de certaines multinationales consistant à créer des sociétés écrans à des fins illégales et criminelles doivent bien sûr être condamnées. Le géant britannique HSBC a ainsi récemment préféré verser 300 millions d’euros pour éviter un procès en France pour « blanchiment de fraude fiscale »[1]. Mais il ne faut pas confondre optimisation fiscale et fraude fiscale. Et ici, c’est bien d’optimisation fiscale dont il s’agit. Et c’est la grande différence avec les Panama Papers qui concernaient des fraudeurs ou supposés fraudeurs.
Pour les entreprises et personnalités incriminées par les Paradise Papers – qu’il s’agisse d’Apple, de Stephen Bronfman (proche de Justin Trudeau) ou de Bernard Arnault – il n’a donc pas été difficile de se ranger derrière cet argument. « Les actifs évoqués par le consortium de journalistes ont été constitués de manière légale et sont connus des autorités fiscales », pouvait-on par exemple lire dans une déclaration de Bernard Arnault transmise à l’AFP[2].
Rien de nouveau
Autre frein au buzz, les pratiques d’optimisation fiscale de grands groupes et de milliardaires ne sont pas un sujet nouveau. Face à des comportements légaux et à une révélation qui n’en est pas vraiment une, il est donc aisé de comprendre pourquoi les Paradise Papers ont suscité peu de réaction au sein du grand public. Les entreprises et personnes mises en cause ont pu finalement profiter d’une certaine résignation du grand public.
L’orchestration d’une stratégie de communication par les journalistes ……
Pour présenter un sujet qui n’est pas vraiment nouveau, qui revient à dénoncer des pratiques légales et qui implique d’intégrer une quantité d’informations absolument indigeste, les journalistes de l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) ont choisi une stratégie de communication agressive. Ils ont procédé à une véritable scénarisation de leurs révélations. Après les Panama Papers en avril 2016, la saga médiatique se poursuit ; les noms des entreprises et personnes concernées sont diffusés au goutte à goutte, jour après jour pour alimenter le feuilleton. Le consortium de journalistes est ensuite lui-même un élément de cette scénarisation. 400 journalistes et lanceurs d’alertes qui ont coopéré à travers 65 pays pour traiter 13 millions de documents : autant d’éléments narratifs qui nourrissent une histoire, celle d’un combat contre le crime organisé, dont les héros sont les journalistes, se mettant eux-mêmes en scène dans une lutte mythique des forces du bien, de la transparence contre celles du mal et de l’opacité.
… à laquelle manque l’essentiel
Mais l’échec de cette stratégie illustre un écueil incontournable : la communication à elle seule ne suffit pas ; elle doit accompagner l’action, recontextualiser les problèmes et situations mais en aucun cas s’y substituer ou pallier leur insuffisante signification. Les journalistes de l’ICJ auront peut-être retenu la leçon.