
« Trolls » et communication de crise : réaction ou inaction ?
Souvent, il suffit d’un tweet pour que la toile s’embrase, déclenchant un raz-de-marée sur le web. Parfois, le trolling¹, souvent anonyme et caricatural, disparaît aussi vite qu’il est apparu, simplement parce que l’absence de consistance du fond du message a pris le pas sur la forme véhémente de son expression.
Avec l’avènement des groupes et forums de discussions, commentaires d’articles et autres timelines toujours plus fournies sur les réseaux sociaux, le troll est devenu un acteur incontournable du web. Son apparition dans les dictionnaires de référence (Le Petit Larousse et le Robert pour ne citer qu’eux) en est d’ailleurs la preuve irréfutable. Il symbolise un changement de paradigme pour la communication des marques et des entreprises vis à vis de leurs publics. Aucune entreprise, aucune marque, aucune personnalité n’est à l’abri, désormais, de l’ire publique (justifiée, ou non) d’un client désabusé, d’un opposant tenace, voire d’un ami déçu.
Pendant longtemps, par manque de ressources ou par méconnaissance du sujet, de nombreuses entreprises ont laissé s’exprimer ces « pollueurs du web » sur leurs différents fils de discussions en ligne sans réagir. Paradoxalement, c’est souvent la technique la plus efficace pour les voir disparaître. Parmi les règles du web, le « Don’t feed the troll/ ne nourrissez pas le troll » occupe une place de choix. D’autant que les internautes savent aujourd’hui reconnaître de mieux en mieux un troll et accordent de moins en moins d’importance à son message. La mission première du troll, chercher à créer la polémique sur le web, s’avère donc plus difficile.
Si le troll est inoffensif dans la majorité des cas, il peut néanmoins semer une zizanie difficile à réguler, d’autant plus s’il met le doigt sur un sujet sensible (et crédible !) sur lequel la marque n’aurait pas souhaité communiquer. Dans ce cas, l’attitude à adopter face aux trolls est la même que celle que l’on adopte pour toute situation sensible. A une (importante) exception près : si l’anticipation est nécessaire, elle ne saurait être suffisante ; la variété des risques potentiels, des interlocuteurs impliqués et des dérapages possibles empêche souvent de prévoir l’intégralité des scenarii et demande de l’agilité en temps réel.
Trois stratégies sont possibles pour réagir à un trolling qui prend de l’ampleur : la dénégation, le détournement, et la repentance. Toutes trois sont exigeantes, et nécessitent une attention et une cohérence de tous les instants.
La stratégie de dénégation consiste à contre-argumenter point par point et apporter des preuves tangibles et irréfutables (données publiques ou sources crédibles). Elle vise à décrédibiliser la critique et donc à l’annihiler. Elle nécessite l’aplomb et la ténacité de ceux qui croient en leur combat, une préparation et une anticipation au cordeau de tous les éléments qui pourraient interférer dans le débat. Le Leem, organisation française des entreprises du médicament opérant en France, a ainsi créé un Tumblr dédié au factchecking en continu des prises de parole publiques et médiatiques sur le secteur des médicaments en France. Le site permet ainsi au Leem de veiller à la réputation de ses entreprises fédérées et de contrecarrer en temps réel ou presque les situations sensibles dont le secteur pourrait être victime.
La stratégie du détournement vise soit à élargir un sujet pour reporter la responsabilité du fait invoqué sur un tiers ou montrer que les enjeux de société qu’il recouvre vont bien au-delà de la marque soit à en annihiler la portée par l’humour. Si elle est et bien maîtrisée, cette stratégie peut même permettre de s’approprier le message initialement défavorable et d’en faire un argument positif. La réaction de la RATP, à la suite du parasitage des comptes twitter de ses lignes de métro, est un bel exemple de réussite : le Tumblr Hall of Fake a ainsi rendu hommage aux trolls et permis à l’entreprise de reprendre la main avec autodérision.
La stratégie de la repentance reste, en cas de fait avéré, la réaction la plus efficace. En admettant sa faute, mais aussi – condition sine qua non de sa réussite – en proposant publiquement des mesures pour y remédier, l’entreprise fait preuve d’humilité et affiche avec conviction une réponse cohérente. Zara s’est notamment excusée à la suite de la mise en vente d’un vêtement pour enfant arborant une étoile jaune de shérif jugé douteux par les internautes, et a retiré l’article de la vente. Cette stratégie a permis de rapidement désamorcer ce qui aurait pu devenir une crise pour la marque.
Et si, finalement, le comble de l’anticipation de la crise sur les réseaux sociaux, était de créer la crise et de provoquer le troll, pour mieux pouvoir lui répondre ? Depuis quelques années le bad buzz est en effet devenu une stratégie de communication à part entière. Mikado, en 2015, lance un produit avec deux fois plus de chocolat et orchestre un bad buzz en annonçant la commercialisation de bâtonnets sans chocolat (#mikadostick). Ce pari risqué a tourné à l’avantage de la marque. En quelques jours, le #LeMikadoSansChocolatCestAussiConQue lancé par un internaute est devenu le 3e Trending Topic en France… un exemple à méditer mais à ne reproduire qu’à bon escient !