
Un temps de Président ou un temps de communicant ?
Le documentaire « Un temps de président » du réalisateur Yves Jeuland, diffusé le 28 septembre 2015 sur France 3, a rassemblé 2,5 millions de téléspectateurs (10,7% de part d’audience). Ce bon résultat prouve que la fonction présidentielle fascine toujours autant et attire la curiosité des téléspectateurs.
Sur celle-ci, pourtant, le reportage révèle peu de choses. Il apporte en revanche un enseignement important : celui de l’ubiquité du communicant du Président de la République. Gaspard Gantzer, jeune énarque, est présent tout au long d’un reportage qui se transforme dès lors en véritable « cas » de communication politique. « Un temps de président » glisse vers « Un temps de communicant » et c’est Gaspard Gantzer qui joue le premier rôle.
Accepter de se prêter au jeu d’un tel reportage répond toujours à un objectif d’image positive pour la personne ou la fonction concernée. C’est le rôle du communicant, après une évaluation précise des risques qu’il comporte, de recommander à son « client », en l’occurrence le Président, d’accepter ou non de s’exposer en répondant à la demande du journaliste. En cas de réponse positive, la mission du communicant consiste à « guider » ce reportage, tout en restant dans l’ombre… Ici la situation est inversée : le communicant est présent à presque chaque minute du documentaire.
Le paradoxe du communicant, toujours présent auprès de son « client » mais invisible publiquement, ne semble plus de mise. Le conseiller de François Mitterrand et de Jacques Chirac, Jacques Pilhan, surnommé « le sorcier de l’Elysée » par François Bazin[i], tirait les ficelles dans l’ombre en imposant une règle : celle de la rareté de la parole des Présidents. Ce temps semble révolu, tant il paraît difficile aux conseillers en communication de rester cachés, à l’ère de la transparence à tout crin. Leur fonction, leurs savoir-faire, leurs méthodes sont désormais connus et assumés.
Cette transformation va de pair avec celle des médias qui s’inscrivent dans l’immédiateté et exigent la même chose des personnages publics. Cette accélération renforce le rôle du communicant dans la gestion permanente de l’instant.
C’est ce que le documentaire démontre parfaitement et quasi exclusivement, ce qui peut laisser penser que le Président de la République gère uniquement l’actualité sans vision de long terme. A tel point que le chroniqueur politique Olivier Picard s’indigne de ce « superficiel plutôt dévalorisant », « qui ne sert ni la fonction présidentielle, ni celui qui l’occupe »[ii].
Certes, il serait impossible de décrypter précisément tous les ressorts d’une décision présidentielle… Ne ressort alors que l’agitation permanente du communicant qui semble traiter les informations à la chaîne et de manière quasi-automatique… Mais pourrait-il faire autrement ?
Selon l’économiste Frédéric Saint-Clair, cette stratégie de communication marketing se fait aux dépens de la psychologie politique « qui a vocation à être la composante principale de la communication politique »[iii]. Le travail de formatage et d’aseptisation des discours par les communicants les rend presque interchangeables et empêche de mettre en relief les forces de la personnalité du politique, et a fortiori de les « magnifier ». Pourtant une telle stratégie permettrait selon l’économiste « de dénouer les blocages qui persistent entre la psychologie populaire et celle de l’élite politique pour permettre aux messages d’être mieux compris de part et d’autre ».
La communication devrait ainsi puiser sa force principale dans la personnalité de celui qui communique.
Au final, le documentaire d’Yves Jeuland apporte un éclairage intéressant sur la mission des communicants. Reste à savoir si c’était l’objectif de Gaspard Gantzer lorsqu’il a convaincu le Président d’accepter ce reportage… Et a fortiori celui du Président lorsqu’il s’est laissé convaincre.
[i] Le sorcier de l’Elysée, l’histoire secrète de Jacques Pilhan, de François Bazin, Broché, 2009
[ii]http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1428977-un-temps-de-president-sur-france-3-vulgaire-et-cruel-un-film-ravageur-pour-hollande.html
[iii] http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/09/29/31001-20150929ARTFIG00127-gaspard-gantzer-le-marionnettiste-de-l-elysee.php