
Communiquer sur la vocation sociétale des entreprises
Dans un rapport remis vendredi 9 mars 2018 au Gouvernement qui les avait mandatés pour conduire une réflexion sur « l’entreprise et l’intérêt général », Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CDFT, et Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, proposent des changements inédits concernant l’objet social des entreprises, dans le cadre d’une réflexion sur la place de celles-ci dans la société.
Le rapport suggère en effet d’adapter l’entreprise aux attentes de ses parties prenantes. Cette adaptation passe notamment par l’extension de son rôle au-delà de la performance économique, par l’ajout de la notion de “raison d’être” dans la définition de leur objet social telle qu’elle figure actuellement, et depuis Napoléon 1er, dans le Code civil.
Ces propositions pourraient être reprises dans le cadre de l’élaboration du projet de loi dit « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (Pacte), lequel devrait être présenté en Conseil des ministres le 2 mai prochain.
La “raison d’être” est le sens qu’une entreprise donne à son activité et la manière dont elle définit son utilité : pour elle-même, ses propriétaires, ses parties prenantes… et donc la société. L’exprimer représente pour l’entreprise un marqueur d’identité fondamental : affirmer, au-delà de la recherche du profit, la finalité de son activité. Cette raison d’être va par conséquent orienter ses choix stratégiques, ses actions et initiatives, tout en s’inscrivant dans le temps long par l’expression même de sa vision de l’avenir.
Cette inscription dans le temps long représente également un critère de bonne gouvernance et d’investissement, comme l’écrit Larry Fink, président du gestionnaire d’actifs BlackRock, dans sa lettre annuelle aux actionnaires, en enjoignant aux dirigeants et conseils d’administration de préciser la raison d’être de leurs groupes et de la suivre comme ligne directrice.
Elle peut dès lors devenir un axe majeur de la communication corporate de l’entreprise et venir renouveler et renforcer celle-ci.
Toyota en fournit un exemple fort. Le groupe japonais est devenu le partenaire officiel mobilité des Jeux olympiques et paralympiques, à l’occasion des jeux d’hiver de PyeongChang 2018 et ce jusqu’aux JO de Paris 2024, avec bien sûr dans l’intervalle les Jeux de Tokyo en 2020. Pour Toyota, cet engagement correspond à une vision stratégique d’une meilleure mobilité pour tous qui ne se limite pas aux véhicules qu’elle produit. En concluant en 2015 un accord de partenariat avec le Comité international paralympique (CIP), Toyota aspirait à “œuvrer pour une société pacifique et sans discrimination par le sport” et à “contribuer à une société durable par la mobilité”. Jusqu’à 2018, il y avait un partenaire constructeur automobile pour les JO et un autre pour les Paralympiques. Pour Toyota, il était primordial de s’associer aux deux événements, en les traitant sur le même plan pour accompagner sa vision stratégique sociétale. Démontrant son engagement en faveur du mouvement paralympique, Toyota a décidé de communiquer partout dans le monde à l’aide d’une campagne sur des athlètes handicapés “Start your impossible*”, déclinée dans 27 pays de façon strictement identique, avec les mêmes films et les mêmes images.
“Une meilleure mobilité pour tous”, un credo chez Toyota qui prône une société plus inclusive, qui va au delà des personnes handicapées. Ainsi des solutions de mobilité pour les personnes âgées ont été présentées sur le Salon de l’Auto de Genève. Toyota inscrit donc sa communication dans une vision stratégique sociétale qui traduit sa raison d’être .
Dans un registre différent, la marque de produits d’hygiène féminine Always, par sa campagne “#COMMEUNEFILLE” (#LikeAGirl), tourne en dérision les stéréotypes associés aux expressions “courir comme une fille” ou “se battre comme une fille”. Autant d’actions qui, associées au genre féminin, sont supposées être négatives ou ridicules. La marque est allée plus loin en proposant des produits qui s’adaptent aux femmes (Always my fit), en sensibilisant depuis plus de 30 ans des millions d’adolescentes sur la puberté et les règles pour leur donner confiance en elles. En parallèle la marque Always s’est également engagée à donner aux jeunes filles les moyens d’agir et a conclu des partenariats avec plus de 30 organisations qui agissent dans le monde entier, notamment Save The Children et l’ONU Femmes… Une communication efficace : la vidéo est devenue virale avec plus de 90 millions de vues, le compte twitter d’Always a triplé le nombre de ces abonnés au cours des trois premiers mois et il y a plus de 177 000 tweets avec le #LikeAGirl incluant de nombreuses célébrités !
Il est vraisemblable, dans le nouveau contexte créé par le débat sur l’objet de l’entreprise, que l’on va assister à un regain des campagnes de communication fondée sur la responsabilité sociale (RSE). Encore faut-il que celles-ci traduisent non seulement le positionnement de l’entreprise mais la réalité de sa stratégie à long terme comme de son activité quotidienne. Pour être crédible et ne pas déclencher un buzz qui peut vite devenir négatif et même contre-productif, la communication doit incarner un engagement sociétal concret, traduction de la stratégie et de la raison d’être de l’entreprise. A défaut, après le “Greenwashing”, le “womenwashing”, ou encore le “pinkwashing” risque de venir le temps du « socialwashing ».