La communication du Gouvernement sur le Covid-19 (2)
Dans le Notre Regard Sur consacré, il y a trois semaines, à ce qui sera sans doute la pire crise sanitaire que la France ait connue depuis la grippe espagnole de 1918-1919, nous estimions que le Gouvernement avait globalement bien maîtrisé sa communication depuis l’apparition de l’épidémie en France. En témoignaient le pourcentage élevé de Français satisfaits de la manière dont il gérait le dossier Covid-19 (54%) et la remontée de la popularité du Président comme du Premier ministre au-dessus des 40% alors qu’elle était de l’ordre de 30% en janvier et encore plus basse au quatrième trimestre 2019. Même si nos concitoyens jugeaient majoritairement qu’on ne leur disait pas tout sur la gravité de la maladie. Depuis la semaine dernière, cette appréciation de la politique de l’exécutif s’est inversée et ils sont maintenant, selon la dernière enquête de l’Ipsos pour le Cevipof publiée par Le Monde, 56% d’insatisfaits, 47% éprouvent même de la colère à l’égard de la manière dont le Président et son Gouvernement s’occupent du sujet (+40 points par rapport à la précédente étude !). Les mesures prises sont jugées insuffisantes par 59% des sondés contre 43% une semaine plutôt. Seul signe positif, la cote de popularité du Président et de son Premier ministre reste cependant supérieure à 40%. Comme on l’avait vu en 2008 pour Nicolas Sarkozy puis en 2015 pour François Hollande, quand la Nation est en danger, le rôle de « chef de guerre » est valorisant et reconnu, quel que soit le jugement porté sur la manière dont la guerre est menée. Sans effet à long terme puisque ni l’un ni l’autre n’ont été réélus.
On peut penser que la propagation de l’épidémie, la croissance chaque jour plus élevée du nombre de personnes affectées et surtout du nombre de morts ne sont pas étrangères à ce jugement négatif et à cette perte significative de confiance. Celle-ci est sans doute pour une part largement inévitable alors que le pic de l’épidémie se rapproche. Mais, les différents sondages montrent qu’il y a d’autres explications à cette chute brutale.
Pendant qu’il communiquait efficacement en phases 1 et 2, le Gouvernement a en effet commis au moins trois erreurs dans la gestion opérationnelle de la crise qui ont été ou ont entraîné autant d’erreurs de communication.
On ne saurait trop lui faire grief de la première, avoir maintenu le premier tour des élections municipales, compte-tenu de la position prise par l’opposition lorsqu’elle a été officiellement consultée par le Président de la République. Comment celui-ci aurait-il pu décider un report après que le Président des Républicains ait crié par avance « au coup d’Etat » et que le Président du Sénat se soit déclaré opposé à une telle mesure ? Mais il était totalement incompréhensible pour les citoyens d’être encouragés à se déplacer aussi massivement que possible pour voter et, en même temps, se voir reprochée une trop grande fréquentation des parcs et voies sur berge sous un soleil de printemps attendu depuis si longtemps !
Les deux autres relèvent en revanche de sa seule responsabilité et sont fortement critiquées par les Français : il s’agit bien sûr du retard pris à reconstituer les stocks de masques de protection, réduits de manière sans doute irresponsable par les gouvernements précédents, et à commander des tests de dépistage. Ils sont, selon la même enquête, 88% à estimer que le Gouvernement a trop tardé dans le premier cas et 83 dans le second. Pour ce qui concerne les stocks de masques, le Gouvernement a commis une erreur majeure de communication en ne reconnaissant pas leur insuffisance, voire même en affirmant publiquement, comme sa porte-parole, que ces stocks étaient suffisants. Déclenchant ainsi une contestation et un malaise croissants parmi tous les « soldats du front » qui n’en étaient ou n’en sont toujours pas pourvus. Il aurait mieux valu reconnaître la pénurie et expliquer à ceux-ci que l’on donnait la priorité aux soignants en attendant l’arrivée de nouveaux stocks. Répéter en boucle que seuls les gestes barrières comptent et que disposer de plus de masques n’était pas utile a entaché gravement la crédibilité de la parole publique. Il en a été de même pour les tests de dépistage, pour lesquels il a été également dit à satiété par le Gouvernement et ses représentants qu’ils n’étaient pas nécessaires, oubliant ainsi toutes les institutions qui accueillent de manière permanente des nombres importants de personnes comme les Ehpad, les prisons… et les hôpitaux. Dans ces institutions, le plus efficace des gestes barrières serait sans doute de commencer par séparer les personnes contaminées des autres et pour cela de procéder à des tests aussi systématiques que possible. Là-encore, c’est la crédibilité de la communication de l’exécutif qui est remise en cause. Et alors que commençaient à circuler les chiffres des conséquences de l’épidémie dans les Ehpad, on était frappé, sans pour autant remette en cause leur bien-fondé et leur utilité, par le caractère très limité à court terme des mesures annoncées par le Président à Mulhouse avec beaucoup de solennité et d’emphase. Des erreurs dans la gestion opérationnelle de la crise et autant d’erreurs de communication dont toutes les forces d’opposition se sont d’ailleurs immédiatement saisies pour mieux préparer la vie politique d’après la sortie du confinement, sans parler des plaintes pénales annoncées par divers collectifs.
Le Gouvernement a tiré les conséquences de cette chute de confiance puisqu’il a orienté progressivement sa communication sur la commande de masques : quatre cents millions en début de semaine portés à six cents millions puis à un milliard samedi soir. Masques et tests de dépistage sont devenus les priorités de son action et de sa communication. Dans leur conférence de presse de samedi, le Premier ministre et le ministre de la Santé ont affirmé par ailleurs leur volonté de transparence en donnant largement la parole à des scientifiques qui ont fait part de leurs incertitudes et de leurs doutes autant que de leurs connaissances. C’est un premier pas essentiel mais rétablir la confiance prendra beaucoup de temps, à supposer que ne soient pas commises de nouvelles erreurs. Le titre de l’interview d’Olivier Véran dans Le Journal du Dimanche « il n’y a eu aucun retard » pourrait en faire douter. Et en communication, comme pour les épidémies, les rechutes ont souvent des conséquences plus graves.